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    L’enquêteur devint perplexe. Que reprocher après tout à cet homme ?.. Ignoré de tous les fichiers. Et il avait beau trouver des incohérences à la pelle dans son histoire, à commencer par la folie furieuse du chien, il ne voyait rien de répréhensible à lui imputer. Quand un type en blouse marron s’approcha depuis la porte ouverte du bureau. Visiblement fébrile.

    - Je peux te voir deux minutes ;. Il lui fit presque au creux de l’oreille.

    - Bougez pas de là.. S’empressa-t-il de commander au chauffeur en quittant le bureau.

    Roger Wilfried resta immobile en le voyant sortir. Dans son esprit les idées ne se bousculaient pas comme on pourrait imaginer. Il était plutôt stoïque d’allure. En fait son cerveau contemplait l’énigme plus qu’il n’y réfléchissait. Il était conscient de la part de tragédie qui marquait son existence, mais en véritable amnésique il ne pouvait que la ressentir. C’est le propre de l’absurdité dévolue aux humains. Celle de chercher des réponses sans connaître la question qui en est à l’origine.

    En revenant l’officier marchait au ralenti. Il paraissait perdu dans une réflexion qui l’empêchait de parler. S’asseyant sur le bureau d’une seule fesse il gardait une main sur son menton. Tout indiquait qu’il cherchait des mots avant de se lancer.

    - Connaissez-vous la nature des sièges arrières ?.. Il lui fit en le toisant.

    Le chauffeur ne comprit pas la question. Prise ainsi dans son sens premier elle ne lui semblait pas intelligible. D’où son silence qui n’avait rien d’un refus.

    - Je me doutais un peu que vous n’alliez pas répondre à cette question.. Je vais quand même la repréciser, si ça peut vous aider.. La P.. euh.. Le Cuir.. que le chien a déchiré de ses dents ;. Vous vous rappelez au moins..

    Le flic soupira en tordant ses dix doigts ensemble.

    - Que savez vous là dessus.. Oui.. de ce cuir justement.. Il insista devant la face maintenant éberluée du chauffeur…

    - C’est du cuir.. très souple ;. Très fin..Toujours un peu Chaud.. je l’ai déjà touché bien sûr, que voulez-vous savoir de plus ;. Je ne comprend pas où vous voulez en venir..

    Le policier le dévisageait profondément, s’efforçant de lire en lui.

    - C’est de la peau Humaine ;. Enfin, si ça se confirme.. on doit encore la faire analyser, mais le technicien du labo est sûr de lui ;. Vous comprenez ?..

     

     


     

     

     


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    Roger Wilfried finissait par s’assoupir sur son coin de table. Un étage plus bas à l’atelier la Mercedes avait été démonté comme un Mécano. En vain. Pas l’ombre d’un bout d’explosif, pas plus que de drogue ou de liasses de billets. Les policiers qu’il voyait passer de temps en temps en étaient maris. Ils l’avaient abruti de questions au début mais à présent on le laissait tranquille. Le vrai problème comme il le découvrait ce jour là, était de s’en tenir à la vérité. A pas lents le flic qui lui avait barré la route venait de retrouver sa place de l’autre côté du bureau.

    - Je vous comprend pas bien.. monsieur.. mais vous êtes quand même pas en train de nous expliquer que vous voyez jamais personne. On vous paie pour des prunes alors. C’est pas ce que vous essayez de nous dire tout de même ?..

    - C’est pas ce que j’ai voulu dire.. c’est que…

    - Donc venons-en à vous justement... vous êtes au service de cette firme immatriculée aux Iles Caïman si j’ai bien compris, Depuis Près de Dix Ans.. quand à l‘adresse de la carte grise on ne trouve rien;. Je pencherais pour une simple boîte postale;. (l’homme releva la tête et fixait le chauffeur, cherchant son regard)..et tout ça bien sûr.. depuis dix ans ;. Corrigez moi si je me trompe ..

    - Heu.. heu.. oui.. je ne me rappelle plus exactement..

    - Vous ne vous rappelez plus exactement ?..

    Le policier soupesait les documents du véhicule.. et vous faisiez quoi avant d’entrer au service de cette société..

    Roger Wilfried se raidit comme s’il se sentait coupable d’un crime pesant. En vérité il buttait sur un voile noir. Au delà de dix ans en arrière.. Il ne Rencontrait qu’un Grand Vide.. ..

     


     


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    Le chauffeur tourna le dos. Il lui fallait récupérer une pochette dans la boîte à gants. Ignorant le policier qui s'adressait à un duo de collègues. Ceux-ci demeuraient insensibles à l’agitation ambiante. Debout et nonchalants à proximité d’une petite camionnette sombre. D’un simple geste de la main il leur fit comprendre ses intentions. De son côté le chauffeur se démenait avec le couvercle de la boite à gants. Quand il réapparut ce fut pour tomber nez à nez avec un chien berger tenu en laisse par un des types de la camionnette.

    - Veuillez bien me passer les papiers et reculez d’un mètre s’il vous plait..

    Roger Wilfried ne trouva rien à répondre. Toujours aussi pâle il s’exécuta en voyant les policiers ouvrir une porte arrière et y diriger le chien. A ses cotés le flic qui venait de s’emparer des papiers ne le perdait plus de vue. Toute la scène s’enfonçait dans un silence accablant.

    - Qu’est-ce qui t’arrives Rocket ?.

    Le maître chien agitait faiblement la laisse. Puis il se baissa pour caresser la croupe de l’animal. Mais loin d’obéir celui-ci se raidissait sur ses pattes. L’agent hocha la tête.

    - Mais alors qu’est-ce qui t’arrives ;. Allez Rocket ;. Grimpe mon chien ;. Grimpe là dedans..

    Le chien qui commençait à montrer les crocs se baissa encore sur ses quatre pattes. Raides comme des piquets. Il avança le museau de quelques centimètres et sembla le coller sur le cuir duveté et odorant du siège. Mais à peine l’avait-il reniflé de près qu’il fut pris de folie. Il recula d’un coup et repartit aussi sec en avant. Luttant contre un monstre invisible. Seulement ses longues dents pointues ne rencontrèrent que le cuir doux et clair. La Peau de Bébé ;. Comme l’appelait Wilfried. Il arracha un bout du siège tandis que le chauffeur levait les bras et sursautait. Le maître chien s’affola et tenta de le faire reculer d’un coup de laisse.

    - Rocket.. Rocket.. tout doux mon chien ;. Tout doux..

    Il s'écriait, tandis que le chien aboyait de plus belle, à plein gosier. Néanmoins il devenait urgent de limiter les dégâts. Son maître voulut sauver ce qui restait de la banquette en l'éloignant du véhicule. Le tirant sèchement en arrière. Le berger allemand entra alors dans une fureur surnaturelle. En quelques secondes il devint comme possédé. Rageant et bavant, claquant des dents sur le parfum se dégageant de la peau veloutée et presque sensuelle. Ses yeux lui sortaient de la tête et rougissaient. De la mousse blanche coulait des babines, ses membres tremblaient et les ongles griffaient le sol. Dans une souffrance épouvantable. Pire qu’un bain d’acide. A moins que cet acide ne lui rongeait les entrailles. Le plus incroyable était qu’il affrontait de l’air et rien d’autre. A la limite un fantôme, mais dans un monde aussi cartésien que le nôtre, qui aurait pu croire de pareilles sornettes. D’ailleurs c’était exactement la pensée de son maître qui de toute sa poigne le souleva de terre. Epargnant enfin la Mercedes. Après quoi un sourire morbide aux lèvres, il fournit l’explication que tous attendaient.

    - C’est positif.. on bloque cette voiture..

    Avant de se tourner vers Wilfried.

    - Vous allez nous accompagner monsieur, et je vous demande de rester calme sans faire de gestes intempestifs.. faute de quoi je serais obligé de vous menotter..

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    C’est à la frontière Suisse ce jour même, qu’eut lieu le premier véritable incident de sa carrière. Il put à l’occasion découvrir que ses virées n’avaient jamais connu la moindre anicroche jusque là. Un détail qui lui avait curieusement échappé. Comme s’il vivait en symbiose avec la fabuleuse voiture au point de ne pouvoir connaître le doute. Elle n’était jamais tombé en panne. Pas le plus petit accrochage à signaler. Aucun désagrément n’était venu ternir ces dix années d’une vie de couple sans nuage. La retrouvant dans ses divers parkings rutilante et graissée comme un bijou. Une pièce de collection qui lui paraissait plus neuve à chaque retrouvaille. Avait-il seulement un jour sorti les documents administratifs de la boîte à gants ?. Il lui semblait bien que non. Sans oublier qu’un véhicule de cette catégorie tient naturellement en respect le quidam autant que les autorités. Même les autres conducteurs évitent de s’approcher de trop près sur la route. Comme si une force mystérieuse ou une équipe de gardes du corps aux poings d’acier pouvait en surgir à tout moment. Puis le voilà qui tombe sur un barrage de police dressé à quelques mètres de la frontière.

    …. Monsieur bonjour.. garez-vous sur le côté s’il vous plait..

    Wilfried dévisagea gravement un homme en bleu et casquette à visière. Son cerveau empâté dans des images délirantes assimilait mal l’ordre qui lui était donné…

    Je.. Je... Oui bien sûr.. Je vais me garer.. il bredouilla.

    Le policier pinça les lèvres en s’écartant. Lui ne s’en laissait pas compter et ce genre de luxe ostentatoire le mettait instinctivement sur ses gardes. D’ailleurs le chauffeur plutôt pâle si ce n’est fuyant qu’il dévisageait, ne lui parut pas très net. Il partait du principe qu’un innocent conserve le regard clair et ne bredouille pas devant un barrage de police.

    - Vous pouvez sortir du véhicule s’il vous plait ?

    - Bien sûr.. bien sûr..

    Roger Wilfried ignorait que les policiers étaient à la recherche d’une cargaison très spéciale. Une centaine de kilos d’explosifs foutus d’envoyer en l’air l‘Office des Nations Unis.

    - Vous venez d’où monsieur ?

    - Euh.. de Milan..

    - Vous voyagez seul .. je peux connaître votre destination ,... ?

    Le chauffeur releva la tête. A l’extérieur de la Mercedes ses idées se remettaient en place.

    - Bien sûr, il n’y a rien d’indiscret, je me rend à Zurich.. je dois y être ce soir..

    Le flic l'observait d’ un œil soupçonneux.

    - Vous devez y récupérer du monde je suppose ;. Il lui Fit.

    Soudain Roger Wilfried réalisa l’incongruité d’une réponse honnête à une question aussi simple. Fixant la casquette du flic il restait sans voix.

    - Vous voudrez bien me présenter vos papiers s’il vous plait ?

    ….

     

     

     

     

     


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    Son état particulier cessait à la nouvelle étape du soir. Un Hilton confortable et impersonnel qui d’une certaine manière l’apaisait. Il n’y trouva aucune de ces aspérités qui accrochent l’esprit, juste un dortoir de luxe avec une cantine de première classe. Ses fantasmes s’évaporaient hors de la limousine, le laissant un peu comateux et désorienté, quoique cela n’avait rien de déplaisant. Simplement ses idées partaient en miettes et il lui fallait toujours quelques temps avant de tout réunir. Cela durait depuis dix ans et il avait mis au point une explication aussi simple que logique pour expliquer ses fantasmes. Tout était du à la Mercedes 600. Son inconscient réagissait par ces adaptations aux longues courses en solitaire dans cet écrin de cuirs fins et de bois précieux, les chromes polis et le feulement du V8 à injection. Pourquoi chercher plus loin. Roger Wilfried était un amnésique, un homme sans passé, ou du moins son passé se confondait exactement avec celui de la limousine de luxe. Il ne possédait aucun souvenir remontant beaucoup au delà de sa liaison avec la voiture grise. Sa vie se confondait totalement avec sa fonction paradoxale de chauffeur de maître. Il était un homme qui conduisait interminablement une longue voiture grise sur les routes européennes. Allant d’un grand hôtel à l’autre, avec tous les fauteuils hormis le sien, désespérément vides. ..

     

     

     

     


     


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