• 1.8

     

    Le KO avait produit un effet inattendu. Quand il retrouva l’usage de la parole sa raison s’était divisée en tranches. Les divers épisodes qui avaient rempli sa vie émettaient des signaux divergents. Les souvenirs ne fonctionnaient plus de concert. Il réalisa soudain que ses souffrances étaient démesurées dans le sens où elles ne concernaient jamais le même individu. C’était tantôt le père trahi par une civilisation dont on avait mystérieusement changé les règles (durant son vivant). Tantôt l’époux d’une femme à l’appétit sexuel éprouvant. Tantôt le prof de philo aux ambitions de jeunesse peu fiables. N’était-il celui qui prétendait alors dominer la nature du réel par la volonté et la connaissance. Qu’en était-il quand ses seules réussites identifiables concernaient une cascade de malentendus entre lui et l’existence. Ses idéologies et ses croyances lui étaient revenues en pleine gueule. Des boomerangs en forme de courts métrages dans lesquels on retrouvait toutes les perversions inventées par l’homme. La religion, le sexe, et la violence. Non pas que ces pulsions soient mauvaises en soi, humaines par principe, mais jetées dans l’outrance, l‘exagération, la gratuité. Le manque total de substrat et de générosité purement humaine. Elles sont nocives et dévorent l’âme et l’esprit, les sens. Les hommes peuvent affronter des dangers terrifiants à condition de pouvoir compter sur le courage que donne la vraie foi. Celle qui réside au fond d’eux-mêmes. Qu’ils ne soient dévorés d’avance par les paroles d’ennemis invisibles. Lui ne dénombrait que ruines, le futur même partait en ruines. Tout se liguait pour rendre glauque l’essence même de l’humanité. Cette compassion réparatrice sans laquelle l’horizon de la mort est impossible à observer. D’affolantes visions à trembler de tous les os. Arrive un moment où on se voit vivre et mourir sans raison. Ce qui de loin est le pire des deux mondes. La vie et la mort. Joachim n’avait pas comme on dit retrouvé l’énergie de se reconstruire une vie. Le balancier entre la vie et la mort dans son cas semblait en suspens. Glissant sur la vague il s’était mis à observer son sort comme un sujet d’étude en laboratoire. ..

     



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  • 1.7

     

    En cette fin d’après-midi de congé il avait pris la peine de soigner son apparence. Portant un blue-jean gris clair plus seyant que ses pantalons informes habituels. Une veste bleu et une chemise claire de la même couleur. Son front semblait soucieux et empreint de curiosité. Même un tic tenace qui d’habitude agitait ses sourcils paraissait s’être calmé. Il ressentait des émotions presque oubliées. Marchant d’un pas plus précis que les jours ordinaires. Comme si un surplus d’énergie venait de lui être octroyé. Ce qui sautait aux yeux alors que sa vie économe de toutes choses donnait l’impression d’avoir été réglée au ralenti. Il en était ainsi depuis qu’un matin il s’était retrouvé KO sur un bord de trottoir au milieu de gens qui couraient en file indienne. Aucun de ceux là n’avait pris la peine de se pencher vers lui en devinant que les deux arabes qui se marraient comme des baleines à quelques mètres n’étaient pas innocents dans l’histoire. Il se retrouvait accroupi dans le caniveau. le regard lisse et sans rancune. N'attendant qu'une balayeuse pour l'emporter. ..

     

     

     

     



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  • 1.6

     

    Sa vie avait fini par basculer. Il était comme parti à la renverse dans l’adversité. Cinq ans plus tard. Il comprenait que la fameuse rencontre avec le corps invisible de sa propre fille était bien le nouveau point de départ. Depuis il vivait seul et occupait un emploi de gardien de nuit. Passant des heures à marcher de long en large dans le grand complexe sportif de sa ville. Touchant un triste salaire mais qui lui permettait au moins de payer ses factures. Bénissant le silence ampoulé de la nuit qui l’avait calmé et aiguisé à la fois. ..

     

     

     

     



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  • 1.5

     

    Joachim Thanurion ne comprenait toujours pas plus ce qui arrivait à son univers. Les faits en eux-mêmes ne semblaient pas inouïs. Inutile aussi de questionner qui que ce soit sur le sujet. Les politiques n’avaient qu’un mot à la bouche pour tout régler sans jamais rien expliquer. Vingt-cinq ans plus tôt ils appelaient déjà ce phénomène « le vivre ensemble ». Il n’y avait plus de nations, plus de peuples. Tout se réduisait selon eux à la possession « des papiers ». Ces derniers possédaient une sorte de fonction magique capable de réduire l’histoire et des générations entières à un agglomérat définitif et incontestable. N’importe qui avait droit à ces fameux papiers. Les refuser sous un quelconque prétexte était une marque de racisme gravement punie par la loi. Joachim sentait confusément comme tant d’autres que quelque chose était à l’œuvre dans l’ombre. C’était une entité mystérieuse qu’il avait dénommé Les Forces Obscures. Sans se soucier de la trivialité d'une formule récupérée par la science-fiction depuis longtemps. De Star Wars à n’importe quel dessin animé japonais, tout le monde en abusait et possédait sa propre définition. Mais lui se contentait d’y fourguer un ensemble de sensations mal définies. Pourtant quand il prononçait silencieusement ces mots il avait comme le sentiment d’une vision proche aux contours identifiables. Il ne lui manquait pas grand-chose pour tout comprendre quoiqu’il fût incapable de définir clairement sa vision. ..

     



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  • 1.4

     

    Il n’avait pas revu sa fille depuis plusieurs semaines quand elle réapparut. Quoiqu’il ne s’inquiétait pas. Sa femme assurant qu’elle recevait régulièrement des SMS. Seulement il tomba des nues quand elle pénétra dans le petit salon de l’appartement. Ne trouvant qu'à se laisser choir sur le canapé de cuir recouvert d’un drap brodé. On y distinguait nettement le Rocher de la Vierge à Biarritz. C’était une belle vue d’ensemble, large et colorée. Sauf qu'un autre drap lui faisait face, comme un message radical, lugubre et menaçant, et celui-ci recouvrait sa fille de la tête aux pieds. Une burqa noire comme la nuit. Un linceul sombre qui sonnait le glas d’une vie de lumière. Son esprit ne chercha pas à biaiser. Il ne s’agissait pas d’une farce ou alors tellement grosse qu’elle était ratée depuis la première seconde. Mais une voix interne lui intima l’ordre de croire ce qu’il voyait. Quant à la voix échappée du linceul, il s’agissait bien de celle de sa fille. Un timbre identique et mort à la fois. Les yeux aussi. Il en reconnut immédiatement les contours. Brodés de sourcils uniques qu’il avait taquinés de ses doigts quand elle était enfant. On ne voyait plus que ses yeux. Rouges sang. La voix avait perdu cette souplesse qui la rendait depuis toujours mélodieuse. Ou alors sous la housse à présent elle s’épuisait. Ce qui était tout à fait plausible. En attendant elle avait à lui parler. Elle était même venue pour ça. D’abord. Je préfère te le dire tout de suite.. J’ai rien à t’expliquer.. Seulement il ne lui avait Encore.. rien demandé. Il remarqua alors ses mains gantées. J’ai pas fini mes études.. C’est pour ça que je viens te voir.. Je vais les reprendre, et la loi me permet de demander une pension à mes parents. Jusqu’à la fin de mes études. C’est la loi. Elle sortit une feuille d’un petit sac noir à cet instant et lui tendit. Il tremblait quand il s’en saisit. Trouvant dessus quelques lignes manuscrites et une série de chiffres suivis de courtes formules explicatives. L’addition des diverses sommes lui parut exorbitante. D’autant que ça l’amenait à réfléchir sur cette histoire d’études. Il devait certainement s’agir des études de pharmacie interrompues trois ans plus tôt. Elle ne s’était jamais montrée spécialement motivée. A défaut d’avoir été acceptée dans le cursus médecine, elle s’était rabattue en pharmacie. Mais c’était juste une roue de secours. D’ailleurs il s’était à peine étonné de la voir sécher ses premiers cours au bout de deux petites années. Il ne prit aucune décision ce jour là. Comment aurait-il pu ? Aucun mot si ce n’est de vagues onomatopées purent quitter sa bouche. Heureusement sa femme déboula plus tôt que d’habitude, et visiblement elle savait mieux que lui de quoi il en retournait. Joachim.. C’est ta fille quand même.. Elle s’exclama en le retrouvant muet. La burqua sans doute le laissait sans voix. Il n’en sut rien de plus dans les minutes qui suivirent. Allant se coucher sans dîner il lui fallut attendre le lendemain pour apprendre que depuis plus d’un mois elle vivait avec un pakistanais dont elle était .. La troisième concubine. Convertie à l’islam ce qui allait de soi. Farouche adepte du salafisme, et violemment anti chrétienne. Qu’elle appelait la fausse religion du démon.. Il lui vint une idée alors. Plutôt une question qu’il rumina longuement. Se demandant comment on pouvait s’imaginer être pharmacienne dans cette tenue. ..


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