• 20 ) Lourdes

    Une bruine entêtée a retardé la sortie prévue du matin. Chez les italiens d‘Alberto seul un groupe de pèlerins parmi la vingtaine de valides s’est risqué à l’extérieur de l’hôtel. Curieusement ainsi Lourdes baigne d’une fébrile gaité, joyeuseté de ponchos volontaires à la démarche sautillante. Toute la ville prend les accents d’une station lunaire dévouée aux bains de l’âme, avec cette joie fiévreuse et empressée des pèlerins qui n’a rien à envier à la charge égoïste d’un bataillon de retraités prêts à s’en mettre plein la panse dans une croisière de rêve tout inclus. Des premiers on retient leurs regards à la descente des bus qui stoppent en chuintant tels de gros chars célestes, tandis que les seconds se tordent les lèvres et salivent d’avance sur un embarcadère où accoste le dernier fleuron de la compagnie Costa. Les uns dans une fièvre sacrée trimballent des cierges plus gros que des obus, et les autres évaluent dans la frénésie le rapport qualité-prix d’une croisière à peine le premier cocktail de bienvenu. Une seule idée fixe en tête, que la bouffe et les prestations soient à la hauteur du baratin qu’on leur a fourgué à la signature. Pendant que le touriste enrage à l’idée de se faire rouler dans la farine, le pèlerin sent gonfler sa poitrine et parfois se désole du vide spirituel de l’époque. Mais tous les deux ignorent l’inanité de leurs rêves, l’obscène déperdition de leurs efforts. Heureusement aussi, les rôles sont facilement interchangeables et le drame n’en est que plus bête, les ressorts de l’humanité se révélant bien plus indéchiffrables que les artifices de la mise en scène. Dans tous les cas seul compte un résultat purement symbolique. Tout ceci dans la mesure où l’objectif secret de tous est de déjouer les pièges du mystère humain, par l’espérance où la bouffe peu importe, il faut tenir le plus longtemps possible en repoussant les questions inutiles jusqu’à l’anéantissement. Nul n’ignore comme la fin est aussi illogique et désespérante quel que soit le chemin emprunté de la naissance à la mort. Entre les deux ce n’est qu’une course folle, un compromis injuste entre de simples illusions, des leurres pour tromper l’angoisse. La petite chose toujours vivante a retrouvé sa place au fond du carrosse bleu et règlementaire. Et une fois de plus c’est Alberto qui s’y colle. Désormais le regard jaune de la petite chose se met à briller dès que le beau prêtre s’approche et il ne sait résister à pareil ordre. Leurs vies deviennent complémentaires et absurdes par l’effet d’un jeu de rôle incluant des rouages compliqués, des intérêts aux relents sacrificiels et pesants, c’est le baume des entrailles qui commande, si ce n’est fécal. Puis le soleil a percé en ce milieu de journée. Des rayons tragiques fusent du ciel au travers des nuages. Les teintes d’un coup sont exagérées, volées à des pellicules technicolor trichrome pour rendre l’image théâtrale et mystérieuse. Toujours le même défi qui court depuis les origines, retrouver la vie plus saillante afin d’obliger le cerveau humain à réfléchir et s’adapter un cran au-dessus de ses possibilités. Toujours un cran supplémentaire. Palier aux incertitudes du réel. Lourdes accentue étrangement toutes formes d’ellipses propres à la fragilité des témoignages. On peut aussi considérer que pareille anomalie dans la conscience collective d’une espèce est un signe de grande instabilité. Luciano.. et bien dis-donc ;. Tu pètes le feu aujourd’hui.. vas-y mollo quand même, le signor Ducatelli a pas besoin d’un deuxième accident, après les jambes et la tête, qu’est-ce qui va bien rester si tu lui casses les bras ?.. Luciano se déporta de la file, menant le chariot d’une seule main ferme. T’inquiètes Alberto.. je compte bien m’occuper de sa veuve s’il lui arrive quèq’chose, elle a de ces nichons, tu comprendrais mieux ce que je veux dire si t’avais eu l’occasion de les renifler.. Le prêtre s’étouffa et arborant la mine convenue d’un demi-saint fit ébranler le convoi de tricycles en direction de la chapelle. C’est juste après la messe en italien, retrouvant l’esplanade qu’il éprouva comme la veille, des hallucinations visuelles. Des flèches de couleur striaient l’air tiède, en provenance du grand rocher lui sembla-t-il. Il y avait foule à cette heure-là, et une longue procession démarrait au pied de la basilique. Alberto cligna nerveusement des yeux et tenta de s’éclaircir les idées. En vain, une sensation de grande instabilité le fit pâlir. Il lâcha son chariot et se frotta les orbites et le front avec des gestes vifs. Tout va bien.. lui demanda une voix à laquelle il ne put répondre immédiatement. En rouvrant les yeux il découvrit Daniella. J’ai eu un petit vertige.. ce n’est rien.. il lui fit. Ce soleil.. il continua en se prenant le front. Enfin il s’avança, se persuadant que cela provenait du manque de sommeil. Le voyage s’étant avéré long avec de nombreux infirmes et un groupe restreint de valides. Une attention constante à fournir. Il voyait toujours quelques flèches violacées qui volaient à l’horizontale. L’une d'elles traversa toute la grande esplanade, et il la suivit alors qu’elle filait au-dessus de la procession. Un brouillard humain chantant des cantiques, et puis au-delà des grilles, la ville. Le brouillard devint flou et dense, d’une lumière indistincte comme les scories d’un feu. Mais heureusement l’effet s’estompa au bout de quelques secondes et tout rentrait dans l’ordre. Il s’agissait bien de fatigue et des excès de la nuit précédente en compagnie de la jeune bénévole. ..

     

    .


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :