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    Se moquant des kilomètres la limousine glissait sur l’autoroute. Prodigieuse dans les nappes de brouillard quand elle s’élevait dans la montagne. Sinistre et inquiétante, avec le sourd cliquetis d’un huit cylindre réglé au métronome. Roger Wilfried se frottait les yeux par moments. Il ne les avait pas fermé au cours de la nuit. Les instructions de La voix.. étaient claires.. rentrer sans perdre une minute. De toute urgence.. Pourquoi d’ailleurs ;. Roger Wilfried n’en savait rien. Mais il avait accepté le marché.

    Dans La nuit qui s’étirait, lourde et gibouleuse par intermittence, il cherchait un but au delà du halo des phares. La sombre Mercedes  contenait l'intégralité de son univers. Un monde contradictoire, qu'il n'avait jamais pensé fuir. . Il avait dit oui sans broncher à tout ce que demandait La Voix.. Néanmoins il se sentait mal, sa vie lui apparaissait sous un angle plus singulier encore ainsi mêlée aux derniers évènements. D’habitude s’il tentait de percer le voile de son amnésie, des automatismes le ramenaient au présent. Il avait toujours un même pressentiment, cruel et obsédant, celui de découvrir qu’il allait tout perdre en retour. C’était comme de jouer à quitte ou double. Il n’avait jamais pu s‘expliquer la sensation de bien être que lui procurait cette réalité. C’était une sorte de rêve éveillé qu’il aurait voulu comprendre sans perdre aucun des bénéfices. Ce malaise baignait en permanence toutes ses questions, et d’une certaine façon, il les neutralisait. Il craignait autant l’ignorance que la vérité et son dévoilement. Tout en ayant l’intuition qu’un équilibre aussi instable pourrait déboucher sur une dépression mortelle et la vraie folie. C’est le propre des destinées humaines. Contempler ainsi démuni les vertiges de l’existence. L’amnésie ou la folie ont juste le mérite de rendre plus lumineux encore ce qui distingue la réalité du rêve, la vérité du fantasme. L’étrangeté de la conscience apparaît en pleine lumière quand elle commence à flancher. Parce qu’elle acquière à se stade la valeur suprême qui sépare la vie de la mort. ..

     

     

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    Il ne bredouilla plus. Sa bouche restait fermée et muette, son cerveau bloqué et sans vie. Seul un faisceau de réflexes lui permettait de conduire et garder le cap. La voix reprit en s’efforçant de démontrer un minimum de chaleur.

    - Vous passez une dure journée, je sais.. mais tout est beaucoup plus simple que vous ne croyez.. j’espère que vous comprenez..

    Un soupir tout aussi métallique s’ensuivit.

    - Bon, c’est pas tout .. il nous faut voir la suite.. comment vous sentez vous monsieur Wilfried ?..

    - Monsieur Wilfried !.. vous m’entendez ?.. reprit la voix un brin inquiète et autoritaire.

    - Répondez moi s’il vous plait..

    Le chauffeur comprit qu’il lui fallait quitter sa torpeur. La voix n’était pas réellement menaçante. Mais reliée à la présence d’une peau humaine arrachée à un homme peut-être vivant pour remplacer le cuir habituel d’un fauteuil, la voix avait nullement besoin de forcer pour semer l’effroi. Tout esprit sensé devinait les limites à ne pas franchir.

    - Je vous entend.. Fit Wilfried.. je suis un peu déboussolé, excusez moi.

    - Je vous comprend bien sûr.. Vous aurez bientôt tout le loisir de vous reposer.. prenez aussi quelques jours de repos supplémentaires.. vous les avez bien mérité ;. Je vous recommande un petit voyage ;. On s’occupera de tout.. Qu’en dites vous monsieur Wilfried ?..

    Ce dernier malgré son état nauséeux sursauta. Prenant enfin conscience de tous les faits extraordinaires survenus dans une même journée.

    - Je ne sais pas.. vraiment je ne sais pas ;. Mais en attendant qu’est-ce que je dois faire ?..

    Il sentit des gouttes qui coulaient de son front. Ses doigts tremblaient sur le volant de bois précieux. Une pareille solitude depuis des années ne l’avait pas préparé à autant de confusion. Quoique il savait la situation artificielle depuis longtemps, et d’entendre cette voix sortie du cœur de la Mercedes le remuait jusqu’aux os. Le sentiment lui venait qu’une sorte de dénouement se préparait. D’une manière ou d’une autre, et c’est son existence qui était en jeu. Il tremblait et transpirait en fixant la nuit. Devant la limousine un gouffre allait s'ouvrir. Un danger qu’il sentait aussi présent que la nuit froide qui tombait entre les montagnes.

    - Vous m’entendez toujours monsieur Wilfried ?..

    - Oui.. oui.. je vous entends… Il fit en se passant une main sur le front.

    - J’en suis heureux.. (un court silence).. alors voilà ce que vous devrez faire.. .

     

     


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    Il n’avait pas demandé son reste quand le flic l’avait libéré. Depuis il se sentait dépenaillé au volant de la limousine et filait dans le jour finissant. Les techniciens l’avaient remonté à la hâte. Des bruits surgissaient à l’improviste, des raclements de tôle et de vis désemparées. Roger Wilfried sursautait parfois. Dans son esprit les évènements ressemblaient à un film sans début ni fin. Un scénario truqué qui illustrait parfaitement les dix années d'une vie passées au volant de cette voiture. Rien ne lui était épargné, sa mémoire se confondait avec son emploi de chauffeur de maître et il venait d’apprendre qu’en lieu et place d’un passager, il ne transportait que sa peau morte et tannée. D’une couleur crème et odorante, lisse et fine comme celle des bébés. S’il fermait brièvement les yeux il les rouvrait sur des visions d’horreur. On l’avait impliqué dans une histoire échappant à toute logique, et l’unique certitude était que la sienne propre, avec cette amnésie qui faisait de lui un mort vivant, était profondément imbriquée à la présence d’une peau humaine sur la banquette arrière. Il n’en possédait encore aucune preuve, ce qui comptait peu, dans son esprit le même secret recouvrait l’ensemble. Le pire est qu’il avait aucune idée de ce qu’il allait devoir faire. Mais pour la première fois depuis longtemps, il ne ressentait rien d’autre qu’un air glacial émanant de l’habitacle. Les visions délirantes qui gonflaient son ego et le baignaient de cette vanité sociale qui est la vraie récompense de l’humanité, s’étaient évaporées. Il se découvrait le chauffeur d’un corbillard clandestin. Sombrant dans la dépression quand le téléphone du bord sonna pour la première fois en dix ans.

    La voix métallique était la même qui lui avait répondu dix ans plus tôt lorsqu’il lui avait fallu solliciter cet emploi. Une voix impersonnelle tout droit sortie d’un computer.

    - Comment vous sentez-vous monsieur Wilfried ?

     

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    Pendant quelques minutes régna le silence. Le flic hésitait, sa mission du jour l’attendait à la frontière. Sûrement que les terroristes allaient profiter de son absence pour faire exploser une gare bourrée de malchanceux. Néanmoins la découverte d’une peau humaine tapissant le siège arrière d’une Mercedes 600 le fascinait autrement plus. Dommage alors pour lui qu’un dernier collègue vienne se précipiter avec un combiné téléphonique en main.

    - Il faut que tu prennes ça, c’est urgent..

    Le flic s’empara de l’engin et s’éloigna en pâlissant, comme s’il soupçonnait déjà de quoi il s’agissait.

    Il hochait la tête à son retour, se mordant visiblement les lèvres. On voyait qu’il souffrait pour s’en tenir aux propos réglementaires.

    - Bon.. Il commença

    - On me demande de vous.. l..lais ;. Laisser partir..

    Il finit par articuler. Une intervention extérieure venait de le mettre KO. Rajoutant encore son lot de mystère à l’histoire, et malheureusement pour lui qui n’était qu’un pion sur l’échiquier. Il comptait peu face à un vrai pouvoir capable de remuer les autorités jusqu’à ses supérieurs avec juste quelques coups de téléphone. Roger Wilfried se releva sans attendre ni remercier. Il était tout aussi sonné que le flic, seulement en ce qui le concernait, le mystère prenait des allures monstrueuses. Il allait reprendre la route avec lui. L’emportant sur le siège arrière. ..

     

     

     

     

     


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    Roger Wilfried à son tour l’observait, les bras ballants et incertain de l’attitude à adopter. Il manqua de clamer son indignation. Avant de se raviser. La mine du flic loin de se montrer hostile, semblait le plaindre. Mais les mots s’étranglaient dans sa gorge, l’obligeant à un gros effort pour laisser passer la salive.

    - je sais pas quoi vous répondre ;. Il finit par avouer assez piteusement.

    - Ca me tombe dessus ;. Il ajouta..

    - Oui.. oui.. Faisait le flic..

    - Je me demande encore ce qu’on va faire de vous et de la voiture.. c’était pas prévu.. vous comprenez ?..

    Il soupira et se tut. Le silence s’était installé dans tout l’édifice. Comme si l’affaire avait brisé subitement toute l’activité du poste. Puis le flic reprit en notant les réponses. Elles portaient sur des détails pratiques.. nombre d’années au service de La Compagnie.. Lieu de stationnement habituel de la 600.. Que faites-vous entre deux services ?.. etc.. etc..

    Une question cependant posait plus de problème que les autres. Toujours la même, brûlante et inutile.

    - Que faisiez-vous avant de rentrer à leur service ?..

    Il la reposait d’une manière simple et crue. Toujours aussi directe. Amenant Roger Wilfried à pâlir une fois de plus. Seulement la question lui fit prendre conscience d’un faisceau d’indices inconnus. Un danger sournois rôdait soudainement et c’est à partir de là qu’il décidait de lui en dire le moins possible. Découvrant du même coup qu’il était pour l’instant le principal suspect d’une forme de monstruosité. ..

     

     

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