• ... Il y a des vies qui ne méritent pas d'être vécues..

                                                 Lawrence Durell


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  • Commandant Carson fixa comme à chaque fois sa troupe, de son regard qui savait juger les hommes, leur courage ou leur loyauté, en un éclair. Il ne devina aucun trouble dans la masse d'hommes et de femmes aux jambes raides et longues qui lui faisaient face. Toujours aussi solides, prêts à tout, presque têtus. Il était un des rares dans la communauté à savoir que la plupart d'entre eux étaient encore le résultat d'améliorations génétiques. Seul moyen pour contrecarrer l'affaiblissement de l'espèce. Il salua les deux officiants qui l'encadraient et s'adressa à la petite foule. Mes amis. Nous avons une dure mission qui nous attend. Certains d'entres vous savent déjà pourquoi nous sommes venus jusqu'ici, dans la galaxie Zero104. Pour les autres, qui dans l'immédiat ne sont pas concernés, je vous laisse sous le commandement du major Kiosh qui aura aussi la charge de relever le niveau d'alerte des groupes de combat Courage et Titan, ainsi que le contrôle de certains matériels particuliers. Sa voix était diffusée par le système d'amplification qui semblait la rendre plus sèche et cassante. Mais le commandant Carson était aussi préoccupé par la tâche qui l'attendait, et comme toujours son esprit se durcissait devant l'épreuve, se débarrassait de tout superflu. Il eut encore quelques mots pour la petite foule, puis avant de quitter l'estrade, annonça le début de l'office. Padres et Madres, fit-il à l'adresse des deux officiants, un homme et une femme vêtus d'une longue tenue que seule distinguait la couleur, et sur lesquelles se démarquaient les Swatax . Parfaitement identiques ceux-là. La femme à la peau violacée avait la tête découverte et ses cheveux étaient aussi épais que des petits doigts de nouveau-né. On ne pouvait apercevoir le visage de l'homme enfoncé dans le large capuchon de sa tunique. Ceux-ci attendirent quelques instants afin que le commandant rejoigne les premiers rangs noirs des défenseurs devant lesquels il prit place debout. Puis comme eux il joignit ses deux mains devant lui à la hauteur du plexus. Les mains entièrement ouvertes et ne se frôlant que par le bout des doigts, comme si un globe bien rond emplissait l'intérieur. Les deux officiants firent chacun un grand geste dans des directions opposées de la salle. Ce geste dessinait clairement un cercle, et à cet instant précis la lumière disparut et dans le noir aussitôt on vit scintiller des milliers de points brillants qui sous la voûte créaient l'illusion parfaite de la pleine nuit céleste. L'effet était saisissant. En un clin d'oeil on venait de quitter les entrailles du vaisseau pour l'immensité galactique. Un Anneau de Vie géant s'alluma au-dessus d'eux. Rouge il flambait dans l'air du même feu de chair que les témoins du grand moteur. Je m'adresse à vous les enfants de la Terre. Les filles et fils de l'Etre de Vérité, et du peuple des prophètes, Moïs, Bouda, Mamet, Jésé, et le dernier et plus brave d'entre tous, Ramé. Ses disciples furent les guides du grand voyage que nous appelons le Premier Exode. Leur sang coule dans nos veines. Leur esprit nous éclaire toujours, et nous devons terminer la tâche entamée en ces temps lointains et jamais achevée. Et vers toi l'Ëtre de Vérité nous nous tournons et nous te demandons le pardon pour les milliers de cencades durant lesquelles nous t'avons oublié, mais aujourd'hui tes filles et tes fils t'honorent à nouveau et te prient de leur accorder le pardon. Alternativement et sautillants sur leurs pieds presque joints les officiants récitaient d'une voix enflammée la prière du pardon. Puis ce fut la femme qui cria. Montre nous le chemin toi le seigneur de Vérité, oui le chemin de notre Planète Mère, le chemin de la vérité et de la Grande Humanité. A cet instant un son gigantesque jaillit des parois. C'était une musique qui soufflait telle une tempête et semblait vouloir tout emporter. Mais déjà l'estrade s'envolait au-dessus des têtes, flottant au centre de l'infini temple sacré. Dont les limites étaient repoussés jusqu'aux galaxies les plus lointaines. Le sermon enfla et continua alors que l'estrade évoluait dans le vide de la cathédrale à la voûte constellée d'étoiles brillantes. Seigneur nous implorons ton amour et ton pardon. S'écria d'une voix dramatique la femme rabé. Alors on vit apparaître les globes du système solaire. Mars, Jupiter, Pluton, Saturne.. ils étaient tous au rendez-vous et tournaient sans fin. Et au milieu du système solaire l'immense Swatax brûlant d'une énergie folle, avait remplacé l'Anneau de Vie qu'ils nommaient aussi Solé. Mais dans le concert des planètes la Terre que l'on reconnaissait à sa lune grise qui autour d'elle dansait, se contentait d'être un globe bleu et sans âme, une simple boule. Parce que les humains ne pouvaient faire autrement, ils n'en possédaient plus aucune image précise, et avaient tout oublié d'elle. Ils étaient les orphelins apeurés de l'univers. Les mendiants empressés d'un Dieu qui n'avait que sa propre solitude à leur offrir. Baignés de musique et de l'infini noir galactique les officiants accomplissaient leur oeuvre. Gonflaient d'amour et d'émotion les voyageurs perdus. Les noyaient de leur propre compassion artificielle et mettaient en scène leur rêve le plus fou. Le retour des vivants dans les vallées vertes et douces du paradis. J'invite les filles et les fils de l'Être de Vérité à partager l'Esprit d'amour de notre seigneur, qu'il nous donne la force et le courage.. et puisse-t-il nous guider sur le chemin. Psalmodia le pastor au large capuchon. Sa voix amplifié se fondait dans la symphonie, se faisait envoûtante. Il tendit ses bras vers les grappes humaines que l'on distinguait sans peine dans le noir bleuté. Les femmes et les hommes ouvraient leur bouche et y recevaient chacun une des flammes qui s'étaient détachées en rafales de ses paumes tendus. L'estrade continuait sa course en virevoltant et dans son vol coupait le système solaire tournoyant sous la voûte étoilée.


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  • Les tubes digestifs avalent par le haut et défèquent par le bas. La couleur pourpre du ciel. Son étonnante grandeur, couvercle de feu et traversé d'ondes aussi mystérieuses que terrifiantes, les signes divins que les hommes ne voient plus depuis belle lurette, depuis que quelques-uns d'entres eux se sont pris eux mêmes pour les esprits au dessus des lois et ignoré la valeur réelle de la chair jusque-là vendue au poids. Emmêlés les idées pour un bon moment. Et toute cette souffrance qu'il nous faudra désormais supporter. Il va sans dire que l'unique leçon obligatoire dans toutes les écoles devrait comprendre une bonne part de stoïcisme. Mais il n'en est rien. Les singes sont dorénavant trop fainéants, toutes ces choses rances qu'ils s'enfilent dans le corps et de partout à longueur de journées. Les intestins eux-mêmes ne veulent plus fournir le moindre effort. Ils appartiennent à des monstres qui pérorent depuis qu'ils s'imaginent au bout de la chaîne alimentaire. Comme cette conne déguisée en boudin de public de la télé que je viens de tringler et qui minaude en se croyant maligne à mes pieds. Je me suis vidé les couilles, je vais pas me plaindre. N'empêche demain le monde sera encore plus rance, et les bourses vides je trouverai plus que les veines à me saigner si je tiens tant que ça à me sentir plus léger. Heureusement ça n'est que demain. Ce qui me laisse toujours le temps de voir, au cas où. Comme tout le monde. Je parlerai pas d'elle trop longtemps. Monique. Il en faut toujours une à plein temps pour quelque histoire que ce soit. C'est la Madone raté, comme cent pour cent des femmes qui ont choisi de se lancer et faire fortune dans l'élevage humain. Mais attention, une Madone très moderne quand même.


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    Pourtant nous n'avons aucun secret les uns envers les autres, n'est-ce pas Todd, vraiment aucun secret. Todd savait parfaitement à quoi s'en tenir. Il se demandait néanmoins si toute l'affaire se limitait à un jeu de séduction ou préparait-elle une attaque en règle plus sérieuse. Il devina qu'elle ne rechignait pas à jouer sur les deux tableaux, comme si la culture de l'Institut d'étude Végamique poussait vers la besogne. Elle avait comme réajusté son sourire. Puis elle se mit à lui parler avec une extrême lenteur, ne laissant sortir qu'un mot après l'autre de sa jolie bouche rouge, Je suis certaine, mon petit doigt me le dit, que tu te demandes si je crois sincèrement tout ce qu'on nous enseigne, le chemin, les deux pôles, les forces enfouies et tout le programme réactionnel, les machines, le Solar Todd, le Solar, as-tu déjà goûté le Solar Todd, dis-moi la vérité. ou je la lirais dans tes yeux, et je l'arracherais avec mon couteau pointu, sans pitié.. Bien sûr que t'aimerais savoir, si je crois vraiment ou si je mens.. pour de l'argent.. par exemple. En voilà une bonne raison, l'argent, aimes-tu l'argent Todd, réponds moi, avec la plus grande sincérité, ou je vais être obligé de t'arracher les deux yeux.. avec mon couteau pointu.. ce n'est pas ce que tu veux Todd, rassure moi vite.. Pour la première fois il sentit qu'il pouvait vaciller. La sensation était une véritable surprise, et il comprit aussitôt qu'il n'avait jamais rien connu de tel. Cette femme qu'il trouvait presque vulgaire et d'une intelligence moyenne, semait le trouble. Cette façon particulière de manier le silence et qui lui avait si bien réussi jusque là était battu en brèche par cette poupée sur-vitaminée, et il était temps pour lui de réagir. Je vais jouer cartes sur table avec toi, O.K., oui je me demande si tu y crois vraiment ou si tu es, comment dire, une opportuniste, et mets toi à ma place après tout, une belle femme qui peut tout avoir dans la vie, je suis sûr qu'il te suffirait de claquer les doigts.. les hommes sont à tes pieds, et tu pourrais obtenir tant de choses, alors il peut m'arriver de me poser des questions, mais tu me pardonnes, n'est-ce pas, et à mon tour j'ai besoin d'y voir clair. Elle quitta la posture de serpent à l'attaque et se redressa dans un grand sourire. Mais alors Todd, tu vois que tu sais parler, il est pas muet ce beau Todd, il est même très charmant quand il se décide à parler, j'ai mon petit doigt qui me dit que Karen a su parfaitement trouver le mode d'emploi, où je me trompe mon beau et grand guerrier. Il se contenta de ricaner et préféra la laisser dans le doute. Mais tu n'as toujours pas répondu à ma seconde question, et oui, parce qu'il y en avait une autre. Tu n'as pas pu oublier, Todd, je ne te croirais plus maintenant. Il se frotta les mains et les joignit devant lui comme pour réfléchir. L'argent, c'est ça. Il fit. Comme tous les gars censés qui justement n'en ont pas, alors ça manque, cruellement. Peut-être autre chose aussi, je te laisse le plaisir de trouver toi-même la réponse, en tout cas moi je ne sais pas de quoi demain sera fait, le futur, oui le futur, le sens de cette vie et quelques vraies raisons d'aller vers le futur. C'est comme si je n'avais plus de passé, et j'espère toujours dénicher quelques pistes. Eh bien, voilà une tâche à laquelle je me sens toute prête à me dévouer.. t'apporter les réponses qui te manquent, c'est ce que tu veux mon beau guerrier, n'est-ce pas. Il la fixa à son tour. Il lui sembla qu'elle s'amusait à imiter Karen et la trouva ironique, alors qu'il craignait de ne pas s'être montré assez convaincant. Elle était coriace et il s'en voulait de l'avoir sous-estimé jusque là. A ton tour maintenant. Il fit. OK. Répondit-elle les deux mains bien calées sur la table, mais le oui en question fut suivi d'un long silence. J'attends. Il dit. C'est énervant n'est-ce pas. Elle lui envoya en se moquant. Je reconnais que c'est assez énervant mais j'ai le temps, et j'attend toujours une réponse. J'avais quatorze ans quand mon père.. a abattu ma mère.. devant mes yeux, d'une balle en plein front pendant qu'elle était à genoux et le suppliait. Puis il s'est emparé de mon petit frère, qui avait huit ans à peine.. et il lui a mis une balle là.. Elle se colla l'index sur la tempe. Mon petit frère hurlait de terreur et implorait mon père.. mon père transpirait et soufflait comme un phoque, et il a appuyé sur la gâchette, et alors la petite tête de mon petit frère a volé en éclat, on aurait dit une orange éclatée à coups de marteau. Puis mon père s'est tourné vers moi et il m'a visé; mais moi contrairement à mon frère, je ne disais pas un mot, j'étais devenue muette. Il a appuyé sur la gâchette et pan, le revolver s'est enrayé. Alors mon père est devenu encore plus fou de rage et il s'est mis à le bricoler en criant. Il disait. Saloperie, il faut toujours que ça arrive au mauvais moment, putain, j'ai jamais eu de chance dans ma putain de vie, et ainsi de suite, il ne s'arrêtait plus de crier. Moi d'un coup je me suis retourné et j'ai foncé dans l'escalier. Je suis descendu à cent à l'heure, et derrière moi, mon père est parti au galop à son tour. Seulement voilà, il a trébuché sur le corps de mon petit frère qui était juste devant ses pieds, et vlan, voilà ce con qui dégringole jusqu'en bas de l'escalier. Moi j'étais déjà en bas et quand je me retourne je le vois les quatre fers en l'air, et qu'est-ce qu'il avait l'air couillon. Elle éclata de rire. T'aurais vu ça, il s'était pété un bras et il pissait du sang de partout. Je crois que je rigolerai jamais assez dans toute ma vie, rien que d'y penser. Mais Todd était paralysé par le récit, et décontenancé. Il lui fallait trouver une attitude cohérente et acceptable. Continues. Il fit. Elle lui répondit par une sorte de ricanement en se tenant la bouche pour contenir le fou rire, et poursuivit. Je suis sorti de la maison et couru longtemps, très loin de mon quartier. Et quand des heures et des heures plus tard j'ai fini par revenir près de chez moi, j'ai vu qu'il y avait un monde incroyable et des flics partout, des dizaines de flics qui entouraient la maison et essayaient de parler à mon père avec des hauts-parleurs, et juste après ils ont donné l'assaut, alors il y a eu des coups de feu. Ca tirait de partout, on aurait dit la guerre. Puis on l'a retrouvé avec plusieurs balles dans le corps, et bien sûr il était mort. Elle se tut. Alors cette bouteille de champagne, si on lui faisait un sort.


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  • Julia était une belle fille, et on pouvait considérer qu'elle allait bien vieillir, rester un beau morceau au fil des années. J'étais jeune et inexpérimenté, mais j'avais l'oeil, et je devinais quelle bonne affaire elle ferait en tant que compagne. Je soudais des tuyaux à l'époque. J'avais un peu raté les études et m'étais vu obligé de travailler de mes mains pour gagner ma croûte. Mais à cet âge là heureusement on se montre généralement courageux, et je ne me plaignais pas malgré que le travail était pénible et bouffait la plus grande partie de mon temps. Le jour pointait derrière les rideaux et Julia fumait assise contre le montant du lit. Le coussin coincé dans le dos. Le silence s'était fait depuis un moment, et je pouvais entendre le tabac griller à chaque fois qu'elle portait le filtre jusqu'aux lèvres. Je sentais qu'elle avait à me parler, et que ça pouvait être tout bon ou tout mauvais. On avait eu beau faire l'amour une bonne partie de la nuit, et j'étais certain qu'elle avait joui plusieurs fois. On avait aussi bu et fumé, ce qui rend un peu fou il faut bien le reconnaître, et nous étions jeunes avec de l'énergie à revendre. N'importe qui peut deviner ce qui se passe dans une nuit entière de sexe et dans ces conditions. A cet instant nous étions plutôt épuisés, quoique le sommeil ne venait pas. C'était une sorte de bonne fatigue néanmoins. Ce genre de fatigue, ou plutôt de soulagement, que l'on ne sait plus ressentir à partir d'un certain âge. Quand on devient trop attentif à la qualité des performances. Que tout finit par lasser. Je ne savais pas ces choses à l'époque, évidemment. C'est pourquoi je souris encore dans mes souvenirs et je tiens à ne pas les gâter. C'était bon d'être crevé au petit matin, voilà certainement de quoi je me souviens le mieux dans ce film. On avait écouté un tas de bons disques qui avaient bien chauffé la platine. Des disques vinyl qui grattaient parce qu'on en prenait aucun soin. Puis j'avais senti qu'il valait mieux retrouver la beauté chaude et compassionnelle du silence. Julia qui n'avait pas une seconde fermé les yeux, s'était installée pour fumer une cigarette. Je recevais des ondes épaisses qui émanaient de son esprit, et toute idée de sommeil s'enfuit aussitôt. Après une nuit à peu près parfaite, je me retrouvais d'un coup sur mes gardes. Heureusement la curiosité reprit le dessus et je n'avais plus qu'à attendre. Calmement. Que penses-tu réellement de ce qu'on vit. Elle commença. Comme je ne trouvais rien à répondre, elle poursuivit d'elle même. Et bien moi je vais te dire. On vit comme des rats. Elle manquait de me sonner avec ce ton glacial que je ne lui connaissais pas. D'où elle sortait cet accent écorché aussi. Le retour sur Terre se révélait brutal et je crois bien que je tentais de rentrer la tête aussi loin que je pouvais entre mes épaules. Qu'est ce que tu veux dire exactement. Je finis pas souffler. Elle pressa les lèvres et termina sa cigarette avant de l'écraser méticuleusement dans le cendrier, prenant soin d'étouffer la moindre parcelle de braise qui aurait eu la mauvaise idée de résister.

    Dans ce monde extraordinaire, et je ne m'y ferais jamais complètement, il nous fallut moins de deux jours pour nous mettre sur les rails. Julia s'y connaissait pour ce qui était de donner le cap. Le tourisme est un commerce qui me tente, avait-elle dit. C'est évident que les gens vont dépenser de plus en plus pour aller se pavaner au soleil ou ailleurs. Puis c'est un domaine qui va nous donner l'impression de vivre en vacances pratiquement tous les jours. Moi c'est comme ça que je conçois la vie. De toute façon elle passe déjà à la vitesse de l'éclair, et tant pis pour ceux qui comprennent pas une chose aussi fondamentale et pourtant très simple. Depuis cette première heure je m'étais pris un vrai coup de pied au derrière, et sans me poser de questions j'avais filé droit, et même je la devançais sur de nombreux points. Elle n'avait pas de grandes études à son actif, mais elle avait gobé d'un coup l'âme d'une civilisation mourante, et je la suivais pareil à un gros chat qui a perdu le goût de cavaler derrière les souris, et par conséquent d'à peu près tout. Elle me promenait désormais dans une cage d'osier, et j'en étais plutôt fier au début. Enfin, il me semble. C'est un vrai bonheur d'abdiquer quand on a rien de sérieux à défendre. A condition encore de voir la folie d'être en vie comme un vrai cadeau divin. Mais j'ai du tomber sur la tête je crois parce qu'après ça et sans aucun signe annonciateur tout a déraillé du jour au lendemain. Je me rappelle très bien l'année 1996, et comment pourrais-je l'oublier. Durant un mois complet je rêvais d'une sorte de fin du monde, un évènement très spécial. Le monde entier s'était écroulé et tout semblait parti en fumée. Pourtant quand au bout d'un temps mal défini j'émergeais de mon bunker, je dus bien reconnaître que les choses tenaient en place. La guerre atomique n'avait eu lieu que pour moi tout seul, et si j'en paraissais rescapé ce n'était qu'illusion. J'aurais aussi bien pu me retrouver mort et enterré. J'avais craqué juste sur la ligne de mes quarante ans, comme pour les fêter, et après quelques courtes péripéties, j'avais quitté la ville et pris le chemin de la montagne. Au début bien sûr je crus retrouver la paix, ou du moins je pouvais faire semblant, avant de comprendre que j'avais seulement changé ma façon de courir. Je suis un gars d'occident, et c'est bien de ça que je veux parler. Alors n'allez surtout pas chercher des trucs tortueux là où il n'y en a pas. Je suis un occidental comme d'autres viennent d'Afrique, d'Asie ou je ne sais trop d'où. Dans ce monde qui s'est construit avec des histoires , j'avais été pris de vertige et de folie à la simple idée de ne savoir raconter la mienne. C'est la maladie première et peut-être mortelle qui nous guette. Pire que la légionellose ou le cancer, le sida, que sais-je encore. Parce que celle-ci touche tout le monde. Quoique sous des formes apparemment différentes. On ne saurait plus mettre cent mille énergies en commun pour édifier une seule cathédrale. L'image elle-même paraît saugrenue. L'idée d'avoir un seul Dieu pour tout le monde nous rend malade. Partager une chose aussi sacrée, et sans seulement pouvoir écrire un best-sellers sur la question nous devient totalement inacceptable, presque obscène. Pour ma part je faillis en mourir. Sans doute suis-je particulièrement sensible. Heureusement je découvris que cette matière était comme on dit organique, pleine d'une vie grouillante et parfois effrayante. Rien ne se perd, y compris le dernier souffle. J'avais changé, mais je n'étais pas mort. Je voulais mille vies, et je les avais. Le seul vrai privilège de notre vieille civilisation. Découvrant enfin le secret, je comptais bien en profiter. pour quelques temps encore Une vraie histoire occidentale.


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