• Il avait beau réfléchir, il ne voyait venir aucune solution satisfaisante, à moins de sacrifier les siens justement. Et cette idée le révoltait. Il savait qu'il n'était pas homme à survivre à pareille décision. C'est en revenant à la charge et en recevant un dernier message d'Alef qui en code simplifié lui donnait un aperçu de sa propre situation, qu'une idée enfin, une solution risquée mais possible, germa dans son esprit. Il était temps, un second chasseur venait d'être touché, alors qu'une forteresse s'écrasait mollement sur le sol. Sonnée mais sans réels dégâts apparents. Son co-pilote tira une salve continue en direction d'une autre forteresse, provoquant des éclairs gigantesques suivis par une série d'explosion dont le grondement se répercuta jusque dans les casques des deux pilotes. Avant même que le souffle se soit dissipé, il plongea au ras du sol en direction d'un canyon surmonté de deux longs pics. C'est là qu'il fut rattrapé par la contre attaque des Ratts. Ils avaient visé les pics plutôt que sa machine directement, et des éboulements de rochers vinrent marteler la carlingue. Pendant un court instant il eut le sentiment que c'en était fini pour eux. Il fut presque surpris de sortir vivant de cet enfer, et se dit alors que le jeu ne pouvait continuer de cette façon, qu'il était temps d'abattre les dernières cartes. Malheureusement comme pour confirmer cette pensée lui parvint un appel du pilote touché. L'homme râlait, encore conscient et luttant pour ne pas sombrer. Il était parvenu à coucher son engin tordu et fumant. Le co-pilote était certainement déjà mort. Bets évalua la situation en un clin d'œil, et estima qu'ils ne pourrait rien faire pour lui venir en aide. Le chasseur était trop endommagé pour être couplé au sien. Tout au plus il aurait pu le déplacer par un accrochage électromagnétique jusque dans un lieu plus sûr. Mais le chasseur abattu se trouvait à découvert et la manœuvre l'aurait mis à la merci des Ratts qui le guettaient. Pour eux l'aubaine était résolument trop belle. Il s'efforça de ne plus réfléchir et pilota son aéronef de façon à avoir l'autre en ligne de mire. Puis il actionna lui-même le canon qui pulvérisa le chasseur blessé dans une flamme brutale, d'un bleu intense. Il se mordit les lèvres et fonça vers une zone abritée. Il pouvait penser qu'au mieux le pilote blessé n'avait pas eu le temps de souffrir. Le pire il le savait, aurait été pour lui de se retrouver prisonnier des Ratts. Nombre d'entre eux, percevaient les autres espèces, et les humains en particulier, comme des sortes d'animaux, et les traitaient comme tels. J'appelle tous les pilotes. On fonce sur la zone rouge, j'ai dit tous en zone rouge immédiatement. Chacun se débrouille comme il peut pour pas se faire descendre. Ceci est un ordre. Il est interdit de se faire descendre. j'irai personnellement en enfer chercher le crétin qui aura réussi à se faire descendre et je le ramènerai par la peau des fesses. Bien compris mes lascars. Compris chef. Exécution. Tous les pilotes partirent dans des boucles larges effectuées à vitesse maximale pour semer les forteresses, avant de piquer vers la zone rouge. Lieutenant. Fit Bets. Ordonnez à tous vos hommes de grimper dans les cargos et de s'accrocher fermement. On va leur balancer toute la sauce à ces salopards. Alef était le supérieur hiérarchique du chef de groupe. Mais les rapports d'autorité permettaient ce genre de déplacements basés sur l'intuition et la confiance dans la valeur des défenseurs. Alef sut que Bets avait défini un plan qui pouvait les sortir de là. Le ton ferme qu'il venait d'employer le rassurait complètement. Autour de lui les voltigeurs venaient de se regrouper après avoir mis en fuite quelques derniers Ratts qui avaient survécu aux combats. Ils balancèrent encore quelques grenades et des charges de mortier avant de grimper dans les cargos. Deux d'entre eux néanmoins, un dans chaque peloton comme pour respecter une sorte de parité, ne repartiraient plus jamais au combat. Les autres se chargèrent de récupérer les corps sans manifester la moindre émotion. Les uns après les autres les six chasseurs survivants rappliquaient, pareils à une meute aux abois. Bets avait déjà transmis ses instructions à l'ensemble du groupe de combat. Il y eut une sorte d'immobilité avec les six aéronefs alignés à mi-hauteur du ravin. Puis sur un signal ils se soulevèrent jusqu'au sommet des parois et chacun connaissait sa cible repérée par les ordos. Les missiles filèrent immédiatement droit sur les monstres cuirassés. Des missiles à fusion nucléaire et leur noyau de granium qui explosèrent presque aussitôt, ne laissant aux chasseurs qu'un très bref instant pour plonger et se blottir au fond du ravin, les boucliers magnétiques activés à leur maximum. Ils s'étaient serrés les uns contre les autres, au plus près, pour renforcer leur défense. Puis un flash inouï illumina les cieux verts au dessus qui aussitôt devinrent rouges puis oranges au delà des interminables falaises grises. Puis le bruit amplifia et manqua de faire éclater les cœurs tant il était monstrueux. Un bruit roulant qui emportait les montagnes de pierre sur son passage et qui semblait avoir la force d'un raz-de marrée géant capable d'atteindre les étoiles. Tout tremblait sous la chaleur et les machines paraissaient incapables de refroidir les matières et les corps. Dans les cargos chacun serrait les dents et certains récitaient l'appel du dernier instant comme ils avaient appris des rabés et des pastors. La puissance du souffle balayait tout, et heureusement filait sur la plaine rocheuse en épargnant le fond du gouffre et la meute apeurée. Serrée sur elle-même. Enfin après un long moment le bruit et la lueur des éclairs commença doucement à faiblir sur un sol de verre, brûlé pour l'éternité.

     


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  • Enfin la gravité du problème n'était plus un secret d'état. Dans la mesure où les savants s'étaient mis d'accord avec les politiciens, c'en était fini des enfantillages et des cachotteries. Le monde court à sa perte, on va droit au carnage se sont-ils mis à crier haut et fort. Laissant à chacun le soin de s'extasier devant la force splendide de leurs indignations. La planète chauffait et d'ici la fin du nouveau siècle, on prévoyait que les rescapés allaient bouillir en enfer, frétillants de plaisir dans la casserole du Diable. L'équation était simple. On avait brûlé par notre inconscience les ressources naturelles et dégradé le parfait équilibre que la nature avait atteint après des milliards d'années de souffrance et de mutation. Et puis psschhit.. en moins de deux le fleuron de l'évolution, celui qui avait sans l'ombre d'un remord proclamé sa supériorité sur la chaîne vivante accrochée et heureusement avec force, à la masse informe des origines, cet homme aux pieds plats et sensibles, avait réussi à tout gâcher. Comme si cette infâme piétinement de sa propre maison était le seul et unique résultat de sa mission sur Terre. Hypothèse très plausible, qui me semble personnellement loin d'être farfelu si on considère l'acharnement et aussi la précipitation, la frénésie je dirais même qui s'est emparé des humains dès qu'il ont trouvé les moyens techniques de tout casser à grande échelle. Race curieuse qui ne s'est pas gênée dans la foulée de pulluler au fur et à mesure que s'éteignaient tant d'autres espèces bien innocentes malgré parfois la propension à rugir de quelques grands fauves. Mais les hommes, petits, lents, et fragiles, sujets à toutes les maladies, bénéficient d'une rage mentale qui les rend aussi dangereux qu'invincibles, ne laissant aux grands animaux sauvages qu'une silencieuse disparition quand ce n'est une place misérable dans des zoos mal-famés, ou mieux encore au cirque. Sacré par lui-même roi des carnassiers, l'homme se demanda enfin dans un moment d'oisiveté ce qui lui donnait un tel pouvoir. Je fus le premier à pouvoir répondre. Il lui en faut plus qu'il n'a besoin.


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  • Il s'appelle Jorquino et d'emblée tient à me faire savoir qu'avec lui les rigolos ne vont pas bien loin. C'est du moins ce que je lis entre les lignes. Il tient autant à me donner des gages qu'à me mettre à l'épreuve. J'habite le sud du Pérou et je peux te rencontrer ce soir à huit heures pour toi. Pile. Je suis perplexe et comme souvent dans ces cas là je ne trouve rien de mieux à faire que de me gratter la nuque. Je sens que le côté sportif de la proposition ne me plaît pas trop en vérité. Il m'envoie un mandala qui frappe d'emblée par un ton bleu d'une clarté presque surnaturelle, et c'est sans doute ce qui me décide à accepter son offre. Il est exact au rendez-vous. A-t-il jamais douté de ma réponse. Le bleu brillant du mandala s'anime lentement dans le sens inverse des aiguilles de montre. Je suis le vide presque parfait dans lequel la roue grandit en trois dimensions, atteignant bientôt la taille d'une étoile. Mais le vide immense ne se comblera jamais. Je voyage sur sa ligne de vie. Sans effort. Je me laisse guider par les sons râpeux qui balisent la route éclairée de lanternes millénaires. Je sens naître en moi le projet de visiter un continent vierge de toute hérésie humaine. Je ne vois pas le soleil, la voûte est bleue, si ce n'est noire. La mandala qui m'a ouvert la porte a disparu. J'aperçois des ombres au loin, sans pouvoir en préciser l'origine. La route s'éclaircit et une lumière blanche comme un soleil d'hiver m'accueille au bout du tunnel. Jorquino est là bien debout sur le haut plateau entre les sommets couverts de neige immaculée. Je sais que nous sommes sur la cordillère, et comment pourrais-je l'ignorer avec cet air glacé qui me transperce jusqu'aux os. Tiens mon ami. Fait-il en me tendant un manteau ou plutôt une sorte de cape traditionnelle. Riant de me voir grelotter ainsi. Il est plus jeune que j'imaginais. Tu as fait bon voyage. Il dit en riant. Sans se moquer et tout compte fait il a l'air doux et humble. Je m'enveloppe du manteau et le froid cesse immédiatement comme mes tremblements. J'enfile un bonnet de laine. D'un coup il fait bon et j'ai chaud jusqu'aux os. Alors lentement je me tourne et admire les cimes qui nous entourent. C'est beau n'est-ce pas. Fait mon hôte. Marchons un peu. Est-tu heureux d'être ici. Il me demande. Je le regarde. C'est toute ma vie. Je répond en souriant. Je sais. Reprend-t-il. Je cherche seulement à être poli. Je ne suis après tout qu'un pauvre représentant de cet ancien continent du milieu bien moins civilisé que le tien. Je suis bien obligé de faire des efforts. Nous rions ensemble cette fois; Tout en survolant un lac clair et sans l'ombre d'une ride en surface. Une longue bande d'eau pure qui semble ici depuis toujours, sans jamais subir le gel. C'est étrange. Je fais. Elle ne gèle jamais. Me répond-t-il alors que déjà nous marchons sur un sentier de montagne au milieu d'une maigre végétation. C'est magnifique. je lui dis en ouvrant les bras. J'ai parfois peur d'apprendre que les hommes cherchent les ultimes traces de beauté sur Terre pour les polluer comme il se doit. Y mettre des hôtels ou une base aérienne pour être sûrs de ne pas se tromper. Quand tout sera pourri, et ils se dépêchent d'y arriver, on finira bien par oublier comme c'était avant et toutes les conneries humaines dont on aurait pu se passer. C'est pour cette raison qu'il est urgent de faire disparaître les dernières traces de civilisation pré-humaine. La perfection de notre mère nature. Qui aura encore le courage de comparer la beauté originelle et le cloaque que va laisser tout ce gaspillage. Il me prend le bras. Je me doutais que tu avais de la colère en toi. Je l'observe légèrement surpris. Ne fais pas attention à ce que je dis. Je n'ai jamais quitté cette région. Pourquoi donc. Je lui demande. Je sais ce qui se passe partout ailleurs dans le monde. Mais je préfère ne pas y coller mon nez de trop près. Je ne voudrais pas devenir méchant. La ballade se prolongea sur je ne sais combien de kilomètres. Plus d'une centaine sûrement, et sans jamais apercevoir le moindre signe de vie. Pas plus d'hommes que d'animaux. Je n'éprouvais aucun besoin de parler, et quand à Jorquino il lui suffisait d'un geste pour me faire comprendre des histoires qui auraient nécessité des heures d'explication à d'autres. Mais dis-moi mon ami. Il finit tout de même par dire alors qu'on posait le pied sur un gigantesque plateau de pierre grise. Tu ne commences pas à ressentir une petite faim. Je me frottais le dessous du menton. En fait je crois que j'ai surtout soif maintenant. J'aurais du y penser. Quelle hôte misérable je fais. Il me conduisit à son village qui nous apparut presque aussitôt sur le flanc de la montagne en plein soleil. C'étaient de petites maisons blanches aux toits végétaux. On y croisait des habitants à la douceur miraculeuse. On prit place sous un auvent qui semblait nous attendre et une vieille s'avança pour m'embrasser sur le front. Elle me souriait mais je ne pouvais malheureusement comprendre ce qu'elle disait. Du fait qu'elle s'exprimait dans une langue qui ne ressemblait à rien que je puisse identifier. Mais comme elle me fixait en souriant avec les mains jointes. Elle hochait la tête. J'eus le sentiment qu'elle disait. Alors c'est lui. C'est lui répondit d'ailleurs Jorquino. Je me vis offrir des galettes, du fromage aux herbes merveilleusement parfumée, des fruits. Une étrange bière aussi, qui fut servie dans des bols en argile blanc. Pendant que nous mangions en silence sous l'auvent des villageois passaient. Tous souriaient et s'arrêtaient à peine. Ce fut comme un défilé. Ils portaient pour la plupart les mêmes et simples costumes de toile ornée de couleurs vives, et des bonnets de laine pareils au mien. Une température agréable, presque tiède avait remplacé le froid des cimes. Et nous mangions dans un grand silence. Au bout d'un moment vers la fin du repas je le remerciais pour son hospitalité. Puis je m'étonnais de n'apercevoir aucun enfant dans le village. En disant cela je remarquais soudain qu'hormis Jorquino, les habitants étaient très âgés. Je lui fis part ce ma réflexion et il fit mine de se moquer. Tu es un fin observateur. Alors il est temps que j'apporte certaines explications. Il s'essuya la bouche. Pour comprendre l'histoire de mon peuple il faut remonter près de six siècles en arrière, quand les Longues Dents, décidèrent de conquérir un territoire qu'ils avaient méprisé jusque là. Mon peuple s'y était réfugié depuis des dizaines de générations pour échapper aux guerres et aux prêtres qui les menaient. L'instinct de mort régnait sur le continent, tu sais de quoi je parle, l'Onde Noire qui a brisé le vide. Ne serait-ce pas ce que vous avez toujours appelé le Mal.. L'humanité entière est soumise aux forces sombres, mais contrairement à ceux qui ont appris à penser par eux-mêmes, et qui comme en occident ont forcé les pulsions à s'expliquer, nous ne savions faire que deux choses, fuir ou affronter la barbarie avec ses propres armes. Essaie d'imaginer des familles entières sacrifiées et baignant dans le sang. Les enfants devant leurs mères, leurs pères, égorgés sans l'ombre d'un sentiment humain. Les coeurs arrachés avec des gestes de bouchers pour des Dieu jamais rassasiés, et pour cause, ils n'avaient rien demandé. Les miens s'étaient réfugiés dans une vallée peu hospitalière juste en bas de cette montagne. A force de travail la région se transforma. Grâce à l'utilisation de canaux qui en récupérant l'eau des montagnes perdu jusque-là, rendit fertile un sol qui semblait aride. Les Longues Dents pour leur part connaissaient la faim. Ils ne s'étaient jamais abaissés à travailler la terre, se contentant de piller tous les peuples à leur portée. Mais ceux qu'ils n'avaient pas encore massacré avaient fini par fuir. Autour de ces démons c'était maintenant le désert. Ils vinrent jusqu'à nous, poussés par la faim et le besoin de chair fraîche. Une grande partie de mon peuple disparut en tentant de se défendre ou sur les pierres de sacrifice. Seules des femmes furent épargnés et transformées en servantes ou esclaves sexuelles. Quelques familles peu nombreuses parvinrent à fuir et trouvèrent refuge sur la montagne. Ici-même et aux alentours. Seulement il n'y avait rien. Pas le moindre buisson pour calmer la faim. Très peu d'animaux vivent à cette altitude, des rongeurs, de petits carnassiers, et les rapaces. Les grands condors seuls se plaisent par ici. Les survivants des massacres allaient mourir de froid et de faim. D'autant que Les Longues Dents s'installaient par milliers au bas de la montagne. Ce n'était plus une simple expédition. Ils occupaient nos maisons, nos champs, se plaisaient dans le doux climat de notre vallée. Il en arrivait sans cesse de nouveaux, chassés par de mystérieux ennemis qu'ils semblaient craindre autant que nous les craignions nous mêmes. Tous les diables trouvent un jour leurs maîtres. Alors ce qui restait de notre peuple se réunit et le conseil des anciens décida de s'adresser aux hommes-esprit. Ce qu'ils n'avaient jamais fait jusque là et brisant ainsi le tabou. Depuis plus de dix générations il leur avait été interdit de se mêler des affaires de la communauté. Tu connais l'histoire de notre continent; Tu sais le pouvoir des prêtres et toutes les atrocités auxquelles ils se sont livrés. Le sang du Diable coulait malheureusement dans leurs veines , et pour des raisons pas toujours si mystérieuses qu'on voudrait croire. Ils étaient passé maîtres dans l'art des drogues, mais certaines donnaient le pouvoir de se libérer des chaînes humaines pour se rapprocher au plus près des grandes Forces Créatrices. Le sang humain était la nourriture de cette ambition. Les prêtres réclamaient des autels de sacrifice géants en forme de pyramide, qui les rapprocheraient des Dieux. Les peuples mourraient de faim et de fatigue pour satisfaire cette folie sanguinaire. Mais qui s'en souciait alors qu'ils étaient tenus en esclavage par des êtres parvenus au sommet de la puissance et maîtres d'une civilisation inhumaine. Les sacrifices servaient à libérer les castes supérieures de toutes formes de compassion. Là était le vrai secret de leur puissance. Quand aux drogues rituelles elles étaient chargées de modifier la conscience d'entières populations. La cruauté était devenu un art aussi terrifiant que fascinant. Entièrement au service d'une petite caste sans scrupules. Voilà pourquoi nos anciens avaient mis à l'écart ceux que nous appelions les hommes-esprits. Leur rôle se limitait à souhaiter la bienvenue aux enfants qui naissaient, les accueillir dans ce monde par des formules de paix afin de leur éviter de sombrer dans la folie destructrice qui accablait le continent. Les hommes-esprits devaient aussi accompagner les mourants, les remercier au nom de toute la communauté pour leur travail et la générosité dont ils auront fait preuve, leur souhaiter un beau et long voyage dans l'autre monde. Puis surtout promettre que leur esprit serait honoré jusqu'à la fin des temps. La crainte de voir les prêtres s'emparer du pouvoir était telle à cette époque que toutes les grandes cérémonies avaient été abolies. Les rites anciens et l'âme collective se transmettaient dans les seuls vrais instants qui décident du sort des humains. La naissance et la mort. Il n'était plus question de naissance ici-même où nous nous trouvons, mais la mort ouvrait les bras aux survivants. Alors on demanda pour la première fois aux hommes-esprits s'il détenaient encore le pouvoir de sauver la communauté. Seuls trois d'entre eux avaient survécu. A genoux sur le sommet d'un haut pic rocheux ils firent entendre les chants adressés à Kiwhalpa, l'esprit de la nuit qui autrefois veillait sur notre peuple. Il y avait bien longtemps que nul ne s'était adressé à lui. Certains l'avaient même crû disparu comme disparaissent les esprits qui ne sont plus honorés. Sous l'effet du colaks la boisson sacré de notre peuple les hommes-esprits ne ressentaient aucune forme de fatigue. Jusqu'au lever du jour les chants magiques portaient l'âme du minuscule peuple Azdeks jusqu'à l'esprit entier et non divisé de Kiwhalpa. Tout autour les survivants se terraient, partagés entre la crainte et la honte. Ils avaient négligé l'esprit de la Nuit depuis si longtemps que celui-ci pouvait bien choisir cette épreuve pour se venger . Mais au petit matin Les trois hommes-esprits se turent, et Alopatal, le plus ancien des trois se leva et comme par enchantement le tremblement qui ne l'avait pas quitté de la nuit cessa. Son visage était gris et dur comme la pierre, ses lèvres sombres. Ouvrant les bras il dit. J'ai vu tous les destins qui nous attendent. Kiwhalpa le généreux n'éprouve aucune colère envers son peuple. Mais il ne combattra pas ses ennemis. L'Esprit de la lune a dit que le prix de la vie sera celui du sang. La survie et la liberté des derniers Azdeks aura le goût de la mort. Après quoi il se tut un long moment. Au bas de la longue flèche de pierre les hommes et les femmes tremblaient en attendant qu'Alopatal accepte de dévoiler l'avenir choisi pour eux par Kiwhalpa. Il suffisait de lire la peur sur leurs visages pour savoir qu'ils s'y soumettraient, quel que soit le prix demandé par l'Esprit de la Nuit. La vie et la liberté au prix du sang. Tel était le message délivré par l'ancien, et chacun se demandait ce qu'il leur réservait. Alors on vit Alopatal s'avancer tout au bord de l'abîme, ne gardant que quelques centimètres de rocher sous ses pieds. Si peu que tout mouvement pouvait désormais lui faire perdre son fragile équilibre. Mais gardant ses longs bras toujours écartés, il chercha nullement à revenir en arrière. D'un léger mouvement il se laissa tomber dans le vide jusqu'aux pieds de son peuple qui l'accueillit par un cri d'horreur. Du haut du rocher ils entendirent les derniers hommes-esprit entamer non pas le long chant plaintif de la mort mais celui curieusement caquetant et rythmé de la naissance. Devant eux les premières lueurs du jour éclairaient un corps démembré et ensanglanté duquel s'échappait des bouillons rouges et fumants.


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  • J'occupais un emploi à mi-temps auquel il me fallut bien retourner. J'enseignais des matières secondaires et sans grande valeur à des morveux qui pour la plupart se fichaient de ma science comme de l'an quarante. Je les comprenais assez en vérité. Le programme officiel qui découpait la vérité du monde en tranches à apprendre par coeur tenait plus du stockage en congélateur que de la sagesse telle que je l'entend. Celle qui devrait se ramasser à la pelle et à profusion par chacun à la fin de tout apprentissage. Mais des individus ainsi formés feraient de mauvais citoyens au yeux des législateurs de toute sorte. Et qui encore se saignerait à blanc pour payer à prix d'or toutes les saloperies qui sortent des usines, ces masses de quincailleries ridicules et prévues pour se retrouver hors d'usage dans des temps records. Histoire bien sûr de renouveler les stocks à toute vapeur. Et qui se farcirait encore les tonnes de disques des bataillons de pauvres artistes manipulés et misérables, ou se donnerait la peine de polluer la planète au bénéfice des dépollueurs. Et ainsi de suite. Mes élèves dont l'avenir était tout tracé dans l'électronique ou l'hôtellerie se moquaient éperdument de mes propos sur les Vieux Grecs Morts depuis longtemps. De la dérive des continents ils ne comprenaient que des exemples très concrets, comme la provenance des téléphones portables Made in China et autres breloques qui voyageaient entassés dans des containers ballottés sur la moitié du globe pour leur permettre de faire les malins devant les copains. J'aurais préféré leur faire partager mon intérêt pour le silence particulier des forêts, ou le vent des montagnes qui a la faculté de bercer l'âme même s'il incite un tantinet à la mélancolie. Mais ils m'auraient pris pour un cinglé, et à vrai dire je n'aime pas trop qu'on se paye ma tête. Ca va comme tu veux Stan. Je m'emparais de la main de mon copain Gino qui était un des deux ou trois êtres réellement vivants du collège. T'as plutôt une petite mine, t'as pas des ennuis par hazard. Il me fit aussitôt remarquer. Sans le chercher il venait de me piquer au vif et je répondis sans réfléchir. J'ai la tête de tous les jours, que veux-tu que j'y fasse. Oooiiihh. Il siffla. Eh bien, on peut dire que t'es un peu remonté mon gars. Excuse moi Gino. je fis. En lui tapotant les reins. Il fit un signe de la main et s'engouffra dans une classe ouverte. Au bout du couloir je manquais de percuter Agnès, la prof de math qui elle était bien la seule créature ayant le pouvoir de m'affoler dans ce lieu sans vie. Elle me balança son sourire toujours aussi chaud et dangereux qu'une grenade, mais curieusement il ne me fit pas l'effet habituel. Elle fronça carrément les sourcils en constatant mon manque d'enthousiasme à la vue de ses belles dents carnassières. La perverse, elle aimait me sentir à sa botte, prête à lui lécher les entrailles le jour où elle se déciderait à ne plus jouer la comédie. Quoique je n'y croyais plus vraiment, à force d'attendre, et même si je ne comprenais pas tout à fait pourquoi elle semblait rester fidèle au gros Philibert, son mari et aussi patron de la maison. Mais elle devait crever d'ennui avec lui, j'en étais sûr, et je me disais qu'elle devait penser à moi quand il l'enfilait, très fort même, pour que pareil accouplement ne ressemble pas trop à quelque séance de torture. Mon vieux Stan. Elle fit radoucie. Tu ne m'as pas l'air au mieux de ta forme, ou je me trompe. C'en était trop, et je me penchais jusqu'à son oreille. Elle sentait la vanille, une fragrance qui fatigue rapidement, n'empêche que c'est un vrai coup de fouet sur la peau d'une femelle dont les seins pleins à craquer me caressaient le torse. C'est que j'ai une sacré envie de te sauter. Je lui susurrais à l'oreille. La peau de son visage vira au violet en une fraction de seconde. Elle venait seulement de comprendre qu'à force de jouer avec le feu ses jolies petites fesses sentaient le roussis. Je me reculais aussitôt alors qu'un groupe d'élèves marchait vers nous en chaloupant comme à leur habitude. Agnès avala sa salive , ce qui faillit bien l'étrangler tant l'opération semblait délicate. Il lui fallut encore deux ou trois secondes pour retrouver tous ses esprits. Bon, et bien je vais y aller. Elle fit. Bonne journée quand même. Elle ajouta. Je la saluais en posant une main sur mon front. Je souris et continuais mon chemin vers la classe où m'attendait en grognant l'avenir de mon pays. Je pensais que j'avais eu tord d'attendre aussi longtemps pour lui donner mon avis sur cette importante question. Mais je me sentais mieux, comme si j'arrivais enfin en bas de la pente que je dégringolais depuis des semaines. Il n'avait pas fallu grand chose en fait. Une minuscule courbure dans l'univers. Plus tard je croisais le gros Philibert. Alors mon vieux Stanislas. Il me fit. Bientôt les vacances. Je lui répondis par un sourire et pensais néanmoins qu'il avait une sacré veine. Sans doute qu'un Dieu spécial s'occupe des imbéciles. Je ruminais encore. ..

     


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  • J'ai senti toute la force de la décomposition des lois. Par chance (ou par malheur parce que j'ai cru prendre dix ans d'un coup avec la fatigue qui s'en est suivie..) j'étais là au bon moment et je n'ai rien perdu de l'expérience. Plongé dans un profond Samadhi; entre deux eaux et je m'amusais d'une lente glissade sur les champs de forces. Je sais. Je ne devrais pas raconter tout ça. Certains vont s'offusquer de voir ainsi désacraliser ce qu'ils considèrent trop pur et noble pour être évoqué de façon triviale. Mais comme on ne se refait pas et à partir d'un certain âge.. Le souffle semblait tout balayer. Cependant il manque une image pour mieux comprendre ce que je veux décrire. J'en vois une qui pourrait convenir. Dans un avion volant à dix mille mètres un hublot explose d'un coup. L'effet de la dépressurisation aspire tout le contenant avec une puissance inouïe, et en quelques secondes l'atmosphère chaude et douillette aura été remplacé par un climat mortel et glacial. Sans oxygène. Dans l'évènement sans précédent dont je fus un des vrais témoins, ce n'était pas l'air en lui-même qui se voyait aspiré, mais la matière. Toute la matière présente et sujette à l'effet de masse. C'est-à-dire contenue dans la bulle de notre planète. J'ai compris de suite le danger. On venait de changer la fréquence des éléments quantiques. Notre fréquence. Je rappelle que dans cette dimension rien n'est immobile. Il suffit pour en avoir une idée de se représenter l'atome. Chacun se souvient parfaitement de ces grappes qui font penser à d'invisibles systèmes planétaires. Eh oui, encore une fois. Comme si la nature n'avait disposé que d'un seul modèle qu'elle s'est amusée à reproduire à l'infini du plus gigantesque en descendant vers l'infime(à notre échelle..) microscopique. La loi qui assure la stabilité entre la dimension macroscopique du monde réel et celle invisible mais tout aussi vraie de l'univers quantique est encore à découvrir. La science n'en est encore qu'aux hypothèses. Et elles sont nombreuses celles qui pensent avoir résolu l'énigme.. mais qui s'usent rapidement faute de preuves à fournir. L'énergie qui anime et assure la vibration sans fin de la matière s'épuisait de partout, s'écoulait dans la faille crée à des milliers de kilomètres de chez moi. Le temps retournait à l'immobilité. L'énergie s'engouffrait comme au travers d'un tamis dans un seul parmi les milliards d'univers possibles répondants chacun à une seule et unique fréquence garante comme pour le notre de sa stabilité et sa survie;. Qu'on ne se méprenne sur ce que j'affirme. La théorie des univers multiples appelée aussi multivers, est très sérieusement débattue à l'heure actuelle dans la communauté scientifique. Quand elle n'est tout simplement défendue parce que parfaitement logique et cohérente avec les lois déjà dévoilées de la physique moderne. J'ai résisté à la folie et je ne me suis pas débattu. J'ai su que mon salut était dans la disparition si le sort en avait décidé ainsi. Après tout, au point où j'en suis personnellement je ne laisse pas grand chose d'inoubliable dans mon dos. Mais j'ai senti aussi vite de puissants courants qui affrontaient le souffle de mort. Je ne pouvais savoir d'où ils venaient exactement. N'empêche que ces volontés se renforçaient de fraction de seconde en fraction de seconde, et j'ai compris que partout sur Terre des forces spirituelles s'unissaient pour affronter le danger. Rien n'était perdu et à mon tour j'offrais mon âme. Je me défaisais alors de ma lucidité. C'était une forme de sacrifice auquel je n'étais pas réellement préparé. Il ne me resta alors qu'une vague appréciation du réel. Sans aucune possibilité de manoeuvre des champs de force. Je venais de me sacrifier comme beaucoup d'autres. De partout les Esprits se délestaient de leur Ego et laissaient partir dans les torrents d'énergies leur bien le plus précieux. Leur part de l'Unité, qui depuis l'origine et le somptueux Big-Bang a voyagé Dans le Sens Unique du Temps. A ce stade seulement je pris conscience d'une Force immense qui déboulait de ce qui pour moi était l'Est. La fraîcheur particulière s'imposa. C'était bien le grand Lac Sacré du Tibet qui dévalait du toit du monde, poussé par des milliers de méditants. Les grands Maîtres du savoir supra-humain, ceux-là mêmes qui portent la connaissance depuis trois mille ans, conduisaient l'armée des Esprits. De Jérusalem aussi, coulait le fleuve des prières et des lamentations. Destinées à un Dieu trop souvent sourd et aveugle au sort de ce sang marqué de son empreinte et enfermé dans les tombeaux de chair née pour pourrir. Définitivement. Mais ce Dieu sait aussi que de toute la force des prières offertes à sa propre gloire, les hommes tirent parfois la vraie rédemption. Voués à s'unir dans la souffrance, ils savent retrouver le chemin de l'Unité là où régnait la confusion des égos. Le corps de l'Etre divisé en autant de cellules qui sans pitié s'affrontent les unes aux autres, se calme un peu. Alors seulement sa colère faiblit et pour un temps toujours trop court, libère les éléments, mettant ainsi fin à la tempête. Laissant aux créatures le Libre Arbitre, le choix d'user au mieux de l'accalmie. De partout les êtres spirituels dans leur transe offraient leur maigre destin et rejoignaient l'armée des Esprits, sans l'ombre d'une certitude sur le sort qui les attendait. J'étais de ceux-là qui acceptaient une mort autrement plus horrible que toutes les autres, si nous échouions dans la bataille. La punition serait terrible et indescriptible. Comment en effet décrire ce qui échappe à l'humanité qui par commodité à crée un langage limité à la fabrication, l'écoulement, la destruction puis le recyclage des biens de consommation. J'expérimentais enfin Le Vide. Sans jamais connaître l'effort parfait du Bouddha. Simplement parce que j'étais là plongé dans un ludique Samadhi à l'instant du Mal Absolu. Les Grands Maîtres s'appliquaient dans le combat. De tous les anciens centres spirituels coulait La Foi. Elle prenait toutes formes, de l'immense bonté du Christ aux cruelles mises à mort sur les pierres de sacrifices perchées tout en haut des pyramides. Les Portes scellées s'étaient réouvertes et en sortait tout ce qui devait sortir. Toutes les traces du dialogue avec le Mystère étaient représentées à cet instant, vouées à réparer l'Erreur des créatures. Les Eveillés retrouvaient l'Entité, le Temps et l'Espace d'une Grande Peur. Eux seuls pouvaient le faire. Ils ont brisé le Code et connaissent la Voie. Ils possèdent la Science qui ne s'apprend pas et ne peut se partager. Ils noyaient de Compassion la Fractale Calamité. De la mousse carbonique d'Amour et de Pardon qu'ils déversaient par milliards de tonnes sur la Blessure du Corps et ses atomes déchirés. Je ne perdis jamais connaissance, même si tout ce que je relate ici est le fruit d'un immense travail de reconstruction. Un effort bien au dessus de mes moyens et qui me laissa endormi à l'orée du coma durant plusieurs jours. Je ne peux témoigner que de ce que je sais. Je tiens à cet avertissement dans la mesure où ce que vais relater maintenant est réellement effrayant. J'ai vu des Ombres, par milliers, qui couraient sur toute la surface de la Terre, surgies certainement de la faille ouverte par le changement de fréquence qui depuis le Début anime les particules élémentaires de la bulle planétaire. La vibration parfaitement juste et calculée est le fruit du Mystère. Je voyais ces ombres courir, danser, et s'affoler, et surtout plonger directement leurs têtes dans les poitrines des vivants comme s'il s'agissait d'en dévorer l'âme. Le sombre festin ne prit fin qu'avec la victoire des Forces menées par les Grands Maîtres, transformés pour un temps et certainement pour leur plus grand déplaisir, je n'ai aucun doute là-dessus, en chefs de guerre victorieux. Menant comme il se doit l'Armée des Esprits. Depuis je sais que chaque homme ou femme que je rencontre peut faire partie de cette armée de Zombies. J'ignore comme tout le monde le but de cette perte d'humanité, leur présence parmi nous. Seuls les Ombres savent.


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