• Y eu-t-il un début, alors il y aura une fin. Cette idée illuminée faillit me rendre fou. Je ne pouvais concevoir un Dieu résigné à être le prisonnier d'une histoire. J'avais raison, dès le début. Pourtant je ne pouvais échapper au malaise que générait en moi le paradigme. La mort des visionnaires emportait l'occident tout entier dans une lente dégringolade au début mais qui se précipitait à présent. Conçu dans la mort et sur une croix, on avait fait de cette dernière, et on s'était empressé, l'emblème de la vraie humanité. Il suffirait de la décrocher des murs des écoles par exemple pour en finir rapidement et peut-être une bonne fois pour toute avec cette forme particulière de troupeau humain. Mais cette idée avait la peau dure, et aussi quelque belles réussites à son actif. Nombreux étaient encore ceux qui s'accrochaient, toujours pour une question très personnelle. Tenez, moi par exemple. De but en blanc j'aurais répondu que la fin de l'occident, et par conséquence du vrai monde, avait eu lieu avec la mise à mort de John Lennon. Mais je n'en penserais rien. C'est juste un signe bien de notre époque qui consiste à se montrer grandiloquent, et à se réfugier derrière les symboles connus pour faire le malin, à défaut de bénéficier d'une vraie idée à vendre. Tout le monde méprise cette situation, mais n'en dit rien parce que c'est socialement bien accepté. Mais tout de même l'occident se meurt et il est très difficile d'en comprendre les vraies causes. Autant pour moi d'ailleurs qui trouve là matière à méditer ainsi qu'une poignée de phrases à me mettre sous la dent. Mais avant que l'on cherche à me régler quelques comptes, autant y aller d'une bonne mise au point. L'occident ne fut pas que cela, et l'histoire remonte aux calendes grecques, pour ne pas dire plus et me lancer dans un cours d'histoire. Je m'en fous en vérité. Complètement. Moi je ne parle que de ce que je sais et qui meurt dans une fumée aussi âcre que celle de l'encens de messe. Ce monde là est assez particulier pour que nous sachions tous de quoi on parle, à moins d'une extrême mauvaise foi. Je n'ai de toute façon plus une minute à perdre. Par contre j'aimerais bien savoir qui est derrière tout ça. Histoire de ne pas tendre l'autre joue...


    votre commentaire
  • Ian Rodam avait tout pour être heureux. A quarante et un ans il affichait sans complexe tout ce qui pouvait mettre en valeur un homme comme lui qui aimait la vie en société. Profession, famille, loisirs onéreux de notoriété publique, ou d'autres faussement escamotés, sa jolie maîtresse par exemple, il ne lui manquait décidément rien de tout ce qu'on appelle habituellement, les plaisirs de la vie. Celle-ci avait eu le bon goût de lui offrir tous ces bienfaits assez tôt pour qu'il y plante ses belles dents sans aucune espèce d'amertume. Il n'avait de revanche à prendre sur rien, ne détestait personne sérieusement, et ne souffrait d'aucune phobie envahissante ou maladie désagréable. Ian Rodam se contentait de jouir de toutes les choses qu'il appréciait sans arrière pensée ou quelconque sentiment parasite, et ne se souciait pas plus de l'envie qu'il pouvait susciter parfois autour de lui, considérant sans doute que quelque discrète manifestation de cet ordre à son égard faisait partie de sa panoplie. Pourtant en ce matin clair de milieu de printemps, Ian Rodam s'apprêtait ni plus ni moins qu'à mettre fin à ses jours, et cette décision qu'il avait prise dans la nuit même, mais qui mûrissait dans son esprit depuis à peine quelques jours, était tout simplement irrévocable.

    Il avait réussi en un rien de temps à remettre ses affaires en ordre jusqu'aux moindres détails. Ce qui lui donnait un esprit gai et léger en quittant la maison sur le coup de dix heures. Il était certain d'avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour ne pas rendre la vie plus difficile que nécessaire aux siens. Testament, comptes bancaires, titres de propriétés en règle. Sans oublier ses deux assurances sur la vie souscrites une dizaine d'années plus tôt et parfaitement à jour. Quand au futur de ses enfants, il ne se bilait pas plus que ça. Sachant qu'il les avait conçu avec une femme qui ne manquait vraiment pas de ressources. Il était tranquille et souriant en se dirigeait vers son véhicule garé sur le gravier encore humide de l'orage de la nuit. Mais le soleil qui revenait s'appliquait à sécher le quartier résidentiel, et dans moins d'une heure on allait connaître une de ces belles matinées de printemps que tout le monde espérait. Autant qu'un autre il ne manqua pas de se réjouir de la douce atmosphère. Pourtant trente cinq minutes plus tard à peine il lançait sa Porsche à fond sur l'autoroute avant de foncer sur une pile de pont. Se pulvérisant et comment aurait-il pu en être autrement à deux cent soixante kilomètres heures.

    Il semblait en paix autant avec lui-même qu'envers l'univers tout entier. Durant la trentaine de minutes qui avaient précédés le crash, il s'était même surpris à apprécier les performances de son beau bolide. Il ne risquait pas d'en retrouver un autre de ce genre là où il se rendait. Cet engin lent et peu commode, tout juste bon à se déplacer accroché au sol comme une vulgaire limace, et incapable bien sûr du moindre bond dans les airs. Curieusement il avait fini par s'y attacher, exactement de la même façon que les humains de leur côté se prennent d'affections incontrôlées pour des vieilleries datant parfois selon leur principal calendrier, d'époques antérieures à un certain Jésus Christ. Il ne put s'empêcher de sourire à cette évocation. Le sacré bougre. Qu'est-ce qu'il les avait amusé dans le grand amphithéâtre léviathique en venant faire part de son expérience aux Traversants, ceux qui allaient franchir les rideaux de feu des fréquences quantiques pour apporter le Contrôle aux civilisations encore trop arriérées pour entendre Le Savoir Vide... Pourtant à défaut de vraiment les aimer ces sacrés petits humains, il s'était pris d'affection pour ces drôles d'Etants et leur fâcheuse manie de perdre leur temps à tenter de résoudre des questions insignifiantes en passant systématiquement à côté des Portes. Les solutions en quelque sorte. Ouvriraient-ils les yeux un jour. Il finissait par douter d'une telle évolution. L'espèce pouvait très bien s'éteindre sans jamais quitter cette tombe qui, il le savait, se refermerait inexorablement quand serait consumée la fabuleuse énergie des origines. Celle là précisément que des Traversants leur avaient permis de discerner sous le nom de Big Bang. Il sourit à nouveau. Le mot avait une sonorité qui l'avait toujours amusé. N'empêche qu'il avait bien profité de ces vingt et une années passées ici bas. Pour utiliser une de ces expressions humaines qui convenaient bien à leur univers. Les sensations éprouvées Dans la Chair; s'étaient révélées très agréables, après un premier temps d'adaptation. Il ressentait une vraie tendresse depuis quelques temps pour ses enfants qu'il laissait ici-bas. Sans réelle amertume néanmoins. Il était bien placé pour connaître l'insignifiance de leur réalité.Il se disait que les humains décidément était durs de l'oreille. On avait beau leur souffler les indices et de toutes les manières possibles. Ils continuaient à se perdre dans leur animalité qui, il le savait, les vouait à ce terrible enfermement dans la chair. Pour preuve. Il suffisait de constater les dégâts, les ravages exercés par les pulsions. Guerres, famines, meurtres en tous genres, et souffrances.. souffrances.. et encore souffrances... La moindre évolution de cette civilisation ne servait principalement qu'à fabriquer des engins de guerre. Seulement on ne leur transmettrait jamais Le Savoir Vide. Cet état, bien au delà des sciences, ne pouvait en aucun cas être enseigné. Il n'existait que comme fruit de la transformation, la lente mais définitive séparation des ondes et de la matière. Enfin. Se dit-il. Il reviendrait certainement. Dans deux ou trois cent ans terrestres, s'il s'en tenait à son programme. Et qui sait si la prochaine fois il n'aurait pas une mission plus active que cette simple présence de Stabilisation, comme étaient nommés les passages à caractère neutre dans les diverses Fréquences Habitées. Rien ne devrait s'y opposer après une première mission réussie. Il avait pleinement prouvé ses qualités d'adaptation. Aux Maîtres d'en tirer toutes les conclusions utiles. Il se souvint que l'instant de La traversée approchait. Alors il commença à se concentrer. Il se demanda s'ils seraient exacts au rendez-vous. Certaines récupérations souffraient de défauts de coordination, obligeant les Traversants à patienter sans aucune Forme. Cela arrivait malheureusement parfois, et ces états se révélaient souvent désagréables. Mais les signaux s'étaient fortement précisés dans les derniers temps, avant qu'il se décide à répondre. Cela ne prendrait qu'une fraction de seconde selon les critères d'ici-bas. N'empêche que les temps avaient bien changé depuis les anciennes méthodes qui les obligeaient à utiliser des sas de transferts constitués de matière solide, tout aussi visibles que dangereux. Ah ces fameuses soucoupes volantes... Avant aussi que l'on renonce aux voyages touristiques de masse. Et il éprouva un ultime sourire humain. Puis il entama le grand chant d'Amour et de Compassion.. qui allait le guider sur le Chemin de Liberté et du Passage... La voie de l'Ultime Libération... Omm.. mimmm... rrimmmm.. striimm.. omm.. oomm.. paaattt... shaaakkeeemmm..... Ommm. Jarrrkkkk..

    Il traversa l'épais mur de béton armé du viaduc à l'instant exact où la Porsche s'embrasait et explosait, projetant les flammes d'essence du réservoir rempli à ras bord jusqu'au tablier supérieur.. comme pour un ultime regret..


    votre commentaire
  • Sale race humaine. Je me répétais depuis une heure. J'avais de quoi, depuis que les deux types m'avaient bousculé et jeté à terre comme un vulgaire ballot. La mode était à l'enthousiasme pourtant, au fantastique, au transcendantal, au rêve éveillé, au merveilleux pour tout dire. Et il valait mieux y croire si on voulait pas se retrouver au rebut; Étiqueté pauvre type, raté, négatif, mauvais coucheur. Même la littérature s'y était mise, et avec quelle ardeur. Il ne se passait plus une semaine sans qu'une campagne de publicité ne vienne vanter les mérites d'un tel bouquin ou deux anges, deux êtres presque surnaturels se retrouvent et s'aiment plus fort encore après des siècles de séparation forcée. Les histoires d'anges et d'êtres humains sans corps dégoulinaient sur les présentoirs. Pendant que moi je me faisais casser la gueule par deux salopards qui avaient décidé de me piquer mon téléphone, mon pognon, et le peu de fierté qui me restait. Quelques minuscules bribes d'humanité si je peux me permettre d'en juger moi-même. Pratiquement rien. Alors comme j'avais plus une larme et pas encore la force de me relever, je me décidais à écrire que le monde merveilleux des enfoirés des équipes de marketing était la dernière arnaque et sans doute la plus humiliante. Sur le trottoir allongé et avec le sang qui pissait je fomentais les premières lignes dans ma tête et ainsi commençait l'histoire.

    Danielle avait tout pour être la femme de ma vie. elle affichait cette beauté que j'aimais, qui donne une fierté de con à l'heureux bénéficiaire de tant de charme. Après dix ans de mariage j'en étais toujours aussi dingue. J'aimais particulièrement le matin quand je la retrouvais douce et chaude de la nuit passée. Pour elle j'avais changé de métier, et tâté du milieu des affaires. Bien décidé à devenir plus grand que je n'étais réellement. L'histoire est connue. Donnez un peu de ce jus spécial à n'importe quel tocard, et avec un peu de chance vous en ferez un cheval de course. ..

     


    votre commentaire
  • Cela fera bientôt deux mois que j'ai l'honneur d'être à plein temps ici, j'aime chaque jour un peu plus mon rôle de Passeur, et je n'oublie jamais vos critiques et vos observations du début, c'est vrai que j'étais trop gentille et pas assez vigilante avec les Poissons, je me faisais avoir, je le reconnais franchement aujourd'hui. Les Poissons qui sont encore des êtres grossiers ne me voyaient que comme une poupée dont ils profitaient facilement, et je ne leur rendais aucun service quand je ne parvenais pas à les intéresser sincèrement au chemin de Végam. Pire encore ils pouvaient se moquer de notre générosité et croire que nos corps sont une marchandise sans valeur, j'ai honte de mes débuts et suis très heureuse que tout ça ait changé, et en un mois j'ai guidé trois sujets qui se sont profondément engagés et nous ont versé déjà soixante mille dollars en tout, et l'un d'eux travaille comme journaliste dans le journal de son père, et je sais qu'il fera beaucoup pour nous, il croit très fort aux forces qui se cachent en tout être humain et que l'étude du Végam permet de réveiller. Elle parla ainsi durant plusieurs minutes encore, et Todd était fasciné par son discours, la ferveur réelle qui s'en dégageait. Il la regardait attentivement. Les doigts de ses mains s'ouvraient et se refermaient sans cesse comme les longs pétales d'une fleur, et elle gardait les yeux tournés vers le haut. Ses cuisses frémissaient sous la courte jupe blanche, alors qu'une longue respiration faisait vivre sa poitrine, la gonflait d'un air parfumé d'une terrible sensualité. C'était une plante vénéneuse et carnivore. Todd en était certain. Et le fait qu'elle soit aussi jolie la rendait plus dangereuse encore. Sa beauté alliée à pareille conviction, et la dure certitude qui l'habitait et transpirait de chaque pore de sa peau, en faisaient une redoutable prédatrice. Todd malgré lui se sentit traversé d'un frisson glacé, et il ne put s'empêcher de penser aux dégâts que son passage devait laisser dans des esprits faibles et désarmés, chez des jeunes gens naïfs et qui n'ont jamais encore touché et reniflé pareille femelle. Le feu était aussi bien dans son esprit qu'entre ses cuisses, et elle usait de ce feu sans jamais ressentir le moindre doute. Son corps entier était un lance-flamme, et elle déclenchait la foudre sans aucune pitié, dans une écoeurante jubilation. L'Institut il le savait pourtant, ne peut fabriquer de tels êtres, pas plus qu'aucune autre volonté humaine. Il n'ignorait rien de cela, mais l'Institut offrait à ces êtres de se révéler pleinement, et de mordre jusqu'au sang , de planter les crocs dans la profondeur caoutchouteuse des artères, puis de les déchirer à pleine dents dans la jouissance infinie du Solar. Avant de s'en aller dormir la bouche entrouverte de laquelle s'échappe toujours un souffle tiède d'enfant. Quand elle eut fini il y eut un silence que brisa Karen en applaudissant comme elle faisait avec tous. Imité aussitôt par l'ensemble des Passeurs. Mais eux-mêmes semblaient craindre sa brûlante dévotion, et le souffle fanatique qui pouvait tout détruire sur son passage. La lente évaluation dura une heure encore. Bien plus longue que les séances habituelles et sonnait comme un état des lieux avant un changement de locataire. Pas une fois Karen ne s'était seulement adressé à Gino, et de sa vision périphérique Todd ne le perdait plus de vue. Il avait observé des tremblements par moments dans ses genoux et il avait vu ses poings se crisper. Pour lui il n'y avait plus aucun doute, l'instant de vérité approchait à grands pas, et il lui fallait être vigilant. Il était là pour ça...


    votre commentaire
  • La discussion portait sur le fait incontestable que les vieux rapetissent à partir d'un certain âge. Je ne me souviens plus qui avait lancé le sujet, mais il obtenait indéniablement un joli succès. D'ailleurs on était pas de trop à quatre pour en venir à bout C'était un angle vicieux de plus qui nous permettait de fusiller à bout portant le peu d'humanité qui semblait nous rester, et pour ma part, crevé et un peu raide que j'étais, je m'en payais une bonne tranche. Damien avait la faculté de rendre fou à peu près n'importe qui au bout d'une demi-heure passé seul avec lui. Je le savais et de ce fait n'avais rien à lui reprocher C'est bien pourquoi quand les deux autres se mirent à fixer leur montre, je me souvenais d'un coup que j'avais un tas de choses à faire chez moi, et sans en rajouter et après avoir allongé ostensiblement un billet sur le comptoir, je tournais le dos et détallais comme un lapin. Un jour de plus au compteur je me dis, comme d'habitude.

    Ma femme m'attendait dans le salon. Les enfants étaient couchés depuis peu et elle faisait mine de se faire les ongles tout en relevant le front vers la télé qu'elle semblait surveiller du coin de l'oeil. Au cas où il s'y passerait quelque chose d'anormal. Tu rentres tôt ce soir. Qu'elle me fit. Je remarquais qu'elle oubliait de se pincer le bord des lèvres et en conclus qu'elle devait être bien disposé. Oui, tu as raison, j'avais envie de rentrer. Je lui répondis en m'approchant pour un baiser quasiment sans goût. C'est ça, ou il n'y avait rien d'intéressant plutôt. Sans la ramener j'enlevais ma veste et m'apprêtais à rejoindre mon petit bureau au bout de l'appartement. Au fait. Elle reprit. Tu t'es occupé de la voiture. Je me raidis en me souvenant que j'avais complètement oublié cette affaire. Oui, oui, bien sûr. Je suis passé au garage. Mais il a rien vu le gars, et il m'a dit de repasser vendredi. Il aurait plus de temps et mettrait la voiture sur le pont pour voir d'où vient le bruit. Elle soupira. J'espère que je vais pas tomber en panne. Il ne manquerait plus que ça. Non, je crois pas Je lui fis pour tenter de la rassurer. Néanmoins je me jurai d'amener la voiture au garage le plus rapidement possible. Avant de me faire tirer les oreilles. J'échangeais mes chaussures contre une paire de pantoufles et m'enfermais dans mon repaire. Tous ces petits problèmes matériels à régler et qui se renouvelaient sans cesse me brisaient souvent le moral. Je les maudissais, ce qui ne servait évidemment à rien. Je finis par rapidement chasser tout ça de mon esprit pour me mettre au travail. Tout devenait calme, et les lieux sentaient la cire. J'avais tant à faire. Avec le printemps les premières heures du matin prennent un goût particulier. C'est mon métier d'être dehors à l'aurore. Je travaille à la ville en tant qu'agent d'entretien et je ne me plains pas. Je suis certain qu'il y a plus malheureux que moi. En fait je suis balayeur, et depuis vingt ans que je fais ce métier je n'ai jamais cherché le moindre avancement. Je crois même que le plus petit changement m'affecterait beaucoup. J'appelle cet état d'esprit le syndrome du caribou. Le cycle éternel. Je suis de ceux qui prennent le temps de réfléchir sur les choses et les conditions. Mon esprit est bien plus clair qu'il n'y parait, et je pourrais en remontrer à nombre de beaux parleurs, mais je suis conscient aussi que cela ne se fait pas. Alors je me contente d'écrire pour éviter les histoires. Le gros Dan par exemple. Lui je l'ai cadré pendant longtemps avant de me lasser. C'est d'ailleurs ce que j'appelle d'emblée un beau personnage. Il a une belle situation, une bagnole rapide, et une femme qui fait bander tout le monde. C'est même pas spécialement un con. Mais rien ne colle parfaitement avec lui; sans que l'on puisse précisément cibler ce qui le rend pathétique. On sent bien que le jour où il ne pourra plus faire le malin sur la Croisette comme il nous raconte sans cesse, et que la piscine de sa villa qui a paraît-il une forme d'haricot(il nous en parle souvent mais je ne l'ai jamais vu), va se fissurer, alors tout son monde va s'écrouler plus vite qu'un château de cartes. Salvador qui le connaît bien jure que sa femme se débinera en moins d'une semaine et pour sa part il s'en pourlèche d'avance les babines, persuadé qu'il ne ratera pas l'occasion de lui mettre la main dessus. Dan, je l'ai observé avec intérêt. Plus rien ne m'est étranger dans sa manière d'habiller le personnage qui remplit toute son existence, ce gros type sympa aux poches pleines et qui bouffe la vie comme un gros sandwich rempli de beurre et de jambon. Je ne lui souhaite aucun mal en vérité. Mais je veux néanmoins me trouver au premier rang le jour où il se cassera la gueule et filera dans un trou d'air. Après tout, je l'ai bien mérité. Je m'intéresse fortement à la nature humaine, et tout autant à l'histoire et les enseignements que nous devrions en tirer. A la vue du monde d'aujourd'hui, et de l'impasse aussi complète que sanguinolente dans laquelle nous nous trouvons, il me semble clair qu'une réponse doit être trouvée rapidement. J'ai beau écouter ce qui se dit à la télé et dans les journaux, je ne vois pas se pointer le plus petit début de solution. Tous ces types qui parlent des heures pour rien dire et qui sont à la merci du moindre faux pas dans leurs plus ou moins brillantes carrières de beaux personnages publics. J'aime me lever aux premières lueurs et emprunter le trottoir devant chez moi qui conduit vers le centre ville. J'ai tout mon attirail avec moi que je pousse dans un chariot d'aluminium monté sur des roues de caoutchouc pleines. Depuis le temps il y a des gens qui me connaissent. Le boulanger près de la gare, ou une femme qui descend tous les matins fumer sa cigarette sur le trottoir. En toutes saisons et qu'il fasse chaud ou froid. Elle doit avoir la quarantaine et je ne l'ai jamais vu qu'en robe de chambre. En principe elle a un bras autour du ventre quand elle me dit bonjour, ce qui permet à l'autre bras, celui qui tient la cigarette, de s'appuyer dessus. Alors elle pointe vers le ciel le bout incandescent et rouge de sa cigarette et m'envoie un franc sourire. Mine de rien elle est pas mal du tout, et j'ai souvent pensé que je pourrais m'y intéresser de plus près. L'ennui c'est que je me suis habitué à lui rendre son bonjour d'une manière ostensiblement polie, avec ce genre d'honnêteté qui se remarque. Avec le temps c'est devenu une rencontre trop formelle et il serait difficile de changer le scénario. Ce qui est une grosse connerie j'en conviens. N'empêche que je lui rendrais bien une visite privée et à mon avis elle ne doit pas être loin de penser plus ou moins la même chose. Qui sait si un jour je ne me prendrais pas par la main et j'irais la scruter de plus près. Je travaille à la limite de mon quartier, ce qui est une vraie chance. J'en connais qui sont obligés de traverser la moitié de la ville avant de pouvoir donner leur premier coup de balai. Alors quand le printemps cligne de l'oeil et chauffe la nuque, je me sens un peu privilégié. Une raison de plus je me dis, pour se mettre au boulot de bonne humeur. De toute façon je suis content comme ça et j'aimerai que ça dure aussi longtemps que possible. Tenez là en ce moment alors que j'écris. J'écoute une radio de l'Arkansas qui s'appelle à peu près Magic 105 Rock. Vous imaginez ce type qui me parle des Ribs merveilleux servis dans le restaurant de son quartier de Little Rock. C'est tout le génie américain qui sort d'un coup de mon ordinateur. Cette boîte qui j'en suis certain aujourd'hui, est le système nerveux de l'être divin, ou au moins l'une de ses plus grandes et plus précises manifestations. La matière cervicale qui transcende l'humanité en reliant les milliards d'esprits présents, certainement les plus avancés, pour créer le premier cortex à l'échelle de la planète. Si comme je le pense, les Etats-Unis du Monde voient le jour dans un avenir plus ou moins proche, nous le devrons certainement à ce génie américain qui aura en moins d'un siècle, inventé et créé le cerveau gigantesque et de plus en plus rapide. Après que les mères américaines aient enfanté les génies de la littérature, de la musique du vingtième siècle, du cinéma, des trajets interplanétaires.. Ce sont bien les meilleurs enfants de tous les continents qui sont partis un jour vers l'Amérique pour y sculpter le creuset dans lequel sera fondu la véritable humanité future, appelée à sortir du brouet brûlant et nauséabond qui nous répugne tant à cette époque. Et c'est ce manuel politique que jour après jour je façonne en l'écrivant d'abord dans ma tête avec le balancement régulier de mon balai sur les trottoirs de ma ville...


    votre commentaire